Léonard et Machiavel
de Patrick Boucheron

critiqué par Sahkti, le 14 octobre 2008
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
La Renaissance vue de l'intérieur
Nous sommes à Urbino en juin 1502. Cesar Borgia reçoit Léonard de Vinci et Nicolas Machiavel. Que ressort-il de cette rencontre? C'est le vide total, personne ne sait, l'un et l'autre gardent le silence à ce sujet.
Si les deux grands hommes se connaissent, de réputation surtout, rien ne transparaît sur cette rencontre de travail, tant dans leur correspondance que dans les compte-rendus officiels. Et pourtant, ils se sont croisés à plusieurs reprises, à un moment clé de l'histoire, celui des guerres d'Italie. Artiste et penseur politique, deux destins ouverts sur le monde extérieur. Machiavel est dans l'action le combat politique, la diplomatie et la cour du prince. De Vinci se cherche un mécène et, à travers ses oeuvres complexes, tente de décrypter la grande stratégie du monde. Spécialiste des machines, doté d'un sens aigü de l'observation, Léonard note et contemple cette période de la Renaissance.
Car c'est bien cette époque qui est au centre du récit, celle des complots politique, de l'explosion du savoir culturel, de la remise en question des fondements de certains états, des balbutiements de l'histoire européenne.

Patrick Boucheron revisite ce moment important de l'Histoire à travers un récit entrant dans diverses catégories: fiction, roman historique, essai, biographie... c'est tout cela à la fois, avec pour but de raconter ce qui a été tu, de faire parler le silence. Il se focalise donc sur cette rencontre et ce choix est bénéfique, car la réduction du sujet, permet de lui accorder toute l'attention nécessaire. L'occasion de livrer une foule de détails sur Vinci et Machiavel, sur le contexte, sur la politique, l'art, la culture. C'est riche à souhait et pourtant jamais lourd, il n'y a pas d'excès de notes qui étourdirait le lecteur, simplement la pureté d'un récit qui place ces hommes au centre de tout. Des hommes avec des qualités et des défauts, une méthode de travail bien à eux également, que Boucheron explore en profondeur. Pas de grande révélations ici mais une finesse dans la manière d'évoquer leurs errances ou leurs certitudes. Humanisés comme jamais, Machiavel et Vinci se livrent à travers leurs arts respectifs, éclairant d'un regard neuf ce 16e siècle tourmenté.
J'ai apprécié l'aisance et l'égance du récit, cette manière de rebondir sur le détail pour esquisser les grandes lignes d'une époque; c'est de la belle écriture, un travail d'orfèvre. Merci à l'auteur!
La convergence de deux mondes 10 étoiles

Le peintre et le politique, devenu théoricien, sont amenés à s'estimer mutuellement, à se rencontrer probablement. L'objectif commun en est la grandeur de Florence et de la Toscane dans l'Italie aux confins du Moyen-Age et de la Renaissance, divisée en plusieurs Etats. La forme républicaine de la Toscane est à consolider, comme les alliances avec les autres Etats de la péninsule, voire d'ailleurs, notamment de la France. Le savoir-faire de Léonard, reconnu dès son vivant, le rend presque incontournable. Aussi a-t-il besoin de mécènes qui ont besoin d'asseoir leur autorité, via d'importantes commandes artistiques. C'est aussi pour cela que leurs chemins respectifs croisent tous deux celui de César Borgia, Duc de Valentinois, fils du Pape Alexandre VI, quasi-Prince des Etats du Saint-Siège. L'arrivée de Jules II, son rival, au trône de Saint-Pierre, renforce les besoins d'aura de Florence.

Ce livre est passionnant, aussi brillamment mené que bien écrit, par cet universitaire qui sait tenir en haleine son public, tout en sachant s'exprimer de manière claire et convaincante. Il est vraiment à recommander.

Veneziano - Paris - 46 ans - 27 juin 2015