Apex
de Colson Whitehead

critiqué par Aria, le 23 août 2008
(Paris - - ans)


La note:  étoiles
Le pouvoir des mots
Votre Xsara est forcément plus confortable avec son nom de tsarine, vos enfants ne mangent que des Chocopops ou des Petits filous. Vous connaissez donc l’importance du nom des produits. Mais savez-vous quel travail d’artiste il y a derrière ?
Colson Whitehead va vous le faire découvrir tout au long de ce roman brillant et drôlissime.

Notre héros et narrateur est un as de la création de nom. Trouver le bon nom, qui fera vendre le produit, c’est tout un art… Lui a un talent reconnu, surtout depuis qu’il a créé « Apex », nom d’un pansement adhésif qui a fait un tabac ou un malheur, comme on veut, malheureusement un malheur pour lui, car depuis, notre génie boite, mais je ne vous dirai pas pourquoi.

Une petite ville du Middlewest, appelée Winthrop, fait appel à ses talents car elle veut redorer son image de marque en attirant davantage de jeunes cadres aisés. Winthrop est le nom de la famille à l’origine de sa fortune et de sa prospérité. Mais le conseil municipal se demande si c’est vraiment vendeur, une ville qui porte le nom d’une dynastie. Elle s’est appelée «Liberty» lorsqu’elle a été fondée par des Noirs affranchis. Un consultant a proposé «New Prospera » pour être dans l’air du temps. Voilà un nom porteur, n’est-ce pas ? Bref, Winthrop est au bord de la guerre civile (sic), chaque nom ayant ses fervents partisans. Les habitants ne parlent plus que de cela. Quelle affaire ! Enfin, un consultant est arrivé. De lui jaillira la vérité… aussi chaque clan essaie-t-il de le récupérer.
En attendant, notre pauvre consultant doit habiter la Suite Winthrop dans l’hôtel Winthrop, rue Winthrop à Winthrop. Et ce n’est pas une sinécure… avec son barman lugubre qui serait bien en peine de faire une « Happy hour » et sa femme de ménage obstinée à vouloir faire le ménage quand notre héros se repose. D’autant qu’il se repose beaucoup !

Ce roman est une satire savoureuse des petites villes américaines et de leurs édiles, mais aussi, bien sûr, des démarches marketing en général. Adeptes ou adversaires du marketing, vous vous amuserez tous. Mais rassurez-vous, le marketing n’est que le prétexte à se moquer des travers de tous.
L’humour de Colson Whitehead, insolent et caustique, fait mouche à tous les coups. Il y a des moments de franche rigolade, mais jamais aucune vulgarité. C’est un livre plein de finesse, très bien écrit. Un livre qui se lit le sourire aux lèvres tout du long, c’est assez rare.
Je vous le recommande.


« Dans ce genre de boulot, on racontait beaucoup d’histoires d’Eurêka. L’essentiel du travail s’effectuait au niveau du subconscient. Il fonctionnait par association d’idées, sans réfléchir, et puis boum, en se grattant le nez dans le métro, boum boum en se cognant l’orteil contre le trottoir. Flottant devant lui, en lettres de néon, apparaissait le nom. »
« Un nom d’exception, ça ne risquait pas de vieillir et de se dessécher. C’était une belle jeune fille attendant son promis.»
« D’aucuns avaient beau dire qu’une rose est une rose est une rose, il ne croyait pas à ce genre de conneries…Une rose appelée rose ne tarderait pas à se flétrir, à sentir l’amande amère. »
« Liberty manquait tellement d’imagination que ça frisait l’indignité morale.»
« Il y avait des villes dont les noms étaient comme des voleurs, qui tentaient de faire les poches de l’Histoire, mais finissaient au pilori sous les sarcasmes de la foule, démontrant à tous les périls de la juxtaposition. Milan (Montana), Paris (Texas), Dublin (Iowa), Brooklyn (Ohio). Comme si l’Histoire était équipée de petits crochets, qu’elle était portable et légère, et qu’on pouvait en peinturlurer n’importe quel mur pour donner du cachet à la pièce.»

« Apex hides the hurt »
Colson Whitehead est un écrivain new-yorkais, né en 1969 qui a été journaliste au « Village Voice » avant de publier son premier roman, « L’intuitionniste », en 1998.