Surveiller et punir
de Michel Foucault

critiqué par Bolcho, le 8 novembre 2001
(Bruxelles - 75 ans)


La note:  étoiles
La prison et l'Etat
Ne laissez jamais quelqu’un donner un avis sur la prison sans lui demander s’il a lu Foucault. Je plaisante à peine. Bien sûr, la lecture de cette somme nécessite de s'intéresser de près à la question. Et aussi d’être prêt à remettre en cause quelques a priori.
Car le discours de Foucault est à l’opposé de ce qui s'entend d’habitude, dans les débats-TV par exemple. Faut-il des peines plus courtes ? Plus longues ? Plus dures ? Plus nombreuses ? Etc. Foucault n’en a cure. Là n’est pas son problème. Et pour soutenir sa thèse, il commence par nous emmener dans le passé. Comment punissait-on auparavant ? C'est légèrement aride, mais passionnant. La description de la « Question » par exemple (que nous appellerions « torture » aujourd’hui, assez improprement. Lorsqu’on est accusé de quelque chose au Moyen Age, le juge doit réunir des « preuves » (définies de façon très originale d'ailleurs) ; à une « demi-preuve » correspondra une « demi-culpabilité » qui justifie l’application de la « Question » pendant un temps donné, très précis. Si l'accusé résiste et n'avoue donc pas, il est considéré comme innocent (ah ! si l’on avait été aussi « coulant » en Algérie…). La prison en tant que peine (comme punition donc) n'existe que depuis le milieu du XIXe siècle, et dès qu'elle existe, les sociologues et les criminologues considèrent que c'est une peine absurde, non seulement inutile mais contre-productive. Aujourd’hui encore, c’est une opinion majoritaire chez les spécialistes de la question. Pourquoi, dans ce cas, l'incarcération reste-t-elle aussi universellement pratiquée ? Et Foucault de nous expliquer que la prison n’est pas conçue essentiellement pour y cloîtrer des délinquants, mais surtout pour faire peur aux gens honnêtes et justifier l’existence de forces de police importantes. La prison est là pour signifier. Elle dit où est la délinquance et où est la norme. Et la délinquance commune (violence physique et vol) est mise sur le devant de la scène comme horreur absolue, comme crime contre l'Etat par excellence. Pourtant, cette délinquance ne représente que bien peu de choses en réalité : l’ensemble des sommes et des objets volés est ridicule par rapport aux flux de richesse, et les crimes de sang sont en baisse tendancielle (sur de longues périodes). Alors ? Pourquoi toutes ces forces de police et ces prisons ? Pour conforter les citoyens dans l'idée fausse que l'Etat les défend. En fait, l'Etat se défend d’eux surtout, il se défend du danger absolu que serait la désobéissance passive du citoyen : la grève générale ou le refus de payer l'impôt qui sont les vrais dangers pour un Etat. Cette thèse finale est particulièrement troublante. Nombreuses seront les personnes qui n’y adhéreront pas. Mais il est difficile de lui dénier toute pertinence. A moins d’élaborer une autre hypothèse pour expliquer la persistance d'une institution absurde : la prison.
Histoire de la discipline et de la sanction 8 étoiles

Contrairement aux idées reçues que j'avais, la prison est loin d'épuiser les thèmes abordés dans ce livre, qui n'est donc pas un essai sur l'univers carcéral, question traitée dans les deux derniers chapitres.
Michel Foucault retrace retrace l'histoire des sanctions pénales et de la discipline, qui, pour le coup, n'est pas seulement pénal, mais aussi scolaire, militaire et religieux : la mesure d'ordre intérieur s'applique à tous les milieux clos, d'où l'importance de la notion de panoptisme, paradigme de l'endroit où la question se pose.
La notion centrale de la question se trouve être celle du corps, dont la souffrance était offerte en spectacle, avant de la dissimuler. Le corps est volontairement soumis, "docile", dans le cadre militaire et religieux. Ces univers clos soumis à une discipline particulière ; et, à ce titre, ils représentent des exemples qui peuvent servir de réflexion à la science pénitentiaire, ainsi mise en perspective, de manière historique et comparé.

L'ouvrage reste assez théorique, mais très intéressant ; il m'a fait bouger les lignes et permet d'élargir et d'élever le débat. Ce n'est pas une référence pour rien.

Veneziano - Paris - 46 ans - 7 septembre 2008


Le management des années futures 8 étoiles

Plus on avance dans cette lecture, plus on progresse à travers le temps, plus on se rapproche de notre monde, de sa conception de la norme, et plus on est frappé par ce que cela laisse envisager sur n'importe quelle gestion de demain.

J'imagine très bien un gestionnaire, un peu borné et parano, tirer profit de Surveiller et punir. Ce glissement de sens du système carcéral en milieu de travail m'a accompagné tout au long de ce splendide ouvrage de Foucault, aussi dense et lumineux que Histoire de la folie à l'âge classique.

Comment peut-on discipliner des employés !? En installant des caméras de surveillance, en divisant les employés entre eux pour ensuite mieux les manipuler, en instaurant un climat de la peur etc...

Donc, un livre à classer entre les rayons de philo, de management et de littérature d'horreur pour ces nombreux passages descriptifs sur les peines de mort infligées aux citoyens reconnus coupables.

DomPerro - - - ans - 19 février 2007