Europa
de Romain Gary

critiqué par Falgo, le 11 août 2008
(Lentilly - 84 ans)


La note:  étoiles
Ratage complet
Dans sa préface à l'édition américaine - reproduite dans l'édition Folio de 1999 - Romain Gary exprime de manière claire son ambition: faire vivre dans une oeuvre de fiction son idée que l'Europe n'existe pas "en tant qu'entité vivante, spirituelle et éthique" et "ce qu'il en est du clivage schizophrénique existant entre la culture et la réalité".
Paru en 1972, ce roman-essai peut aujourd'hui paraître prophétique, les soubresauts de la construction européenne sont là pour l'attester. A l'époque son auteur attribuait l'échec de son oeuvre au fait qu'il exprimait une idée à contre-courant de la pensée majoritaire qui faisait de l'Europe un idéal à poursuivre à tout prix.
Après lecture - récente - du livre, l'échec me paraît ailleurs. Le texte est à la limite de l'illisible, d'une redoutable complexité, mêlant les époques, revenant à plusieurs reprises sur le même évènement, conté à chaque fois d'une manière et d'un point de vue différents. Le procédé n'a rien de blâmable en soi. Le problème est que - en l'occurrence - cela n'apporte pas grand chose au récit. Les phrases sont souvent interminables et d'une effarante prétention, tentant de rapatrier envers et contre tout une culture "européenne". Au hasard (p.323): "Le crépuscule, ce petit maître intimiste qu'il préférait aux grands épanouissements goethéens du jour et aux mélodrames hugoliens de la nuit, effaçait l'excès des contours et des contrastes, grattant ici et là ce qu'il y avait d'un peu excessif dans le jeu des couleurs, modérant les bleus éclatants de ce ciel italianissime aux bravoures de ténor." On peut probablement faire plus simple et plus poétique.
Construction incompréhensible, phrases creuses et lourdes, intrigues compliquées et vaines suffisent à mon sens à expliquer l'échec de l'oeuvre qui - en dépit de sa grande justesse d'appréciation sur le fond - n'arrive pas à toucher son but.
Comment critiquer objectivement ce livre? 6 étoiles

Est-ce un roman où chacun des personnages croit avoir été inventé par un des autres, un essai sur l'Europe et son devenir, un exercice de style, une manière de proposer au lecteur quelque chose de différent. Une phrase de la préface résume l'esprit de Gary quand il a écrit ce livre je la cite de mémoire "Je préfère tenter quelque chose (et me planter car ce livre n'a pas eu l'air, selon le ton de la préface, d'avoir trouvé son public) plutôt que de ne rien tenter.

Paradoxalement j'ai lu avec plaisir ce livre et assez rapidement alors que d'autres livres de Gary plus linéaires m'ont posé plus de difficultés ("Les têtes de Stéphanie" qui avait tout pour me plaire, une trame policière mélangée à de l'espionnage, de l'humour noir une atmosphère très 70's), mais je suis incapable de dire si j'ai aimé ce livre, je me suis perdu entre le "je n'ai pas détesté" et le "j'ai bien aimé".

Impossible de donner un avis définitif et de critiquer ce livre, je donne quand même 3 étoiles pour noter, j'ai eu le même sentiment qu'en lisant "Pseudo" (signé Emile "Gary" Ajar) ça part dans tous les sens, on ne sait pas sur quel pied danser et si l'auteur sait où il va le lecteur ce n'est pas sûr.

Killeur.extreme - Genève - 42 ans - 13 juin 2014


L'Europe, une utopie élitiste ? 6 étoiles

Romain Gary exprime assez bien son ambition, son idée générale, qu'il expose dans cette fameuse préface. L'Europe relève donc d'une utopie, ne dépasse pas le terreau culturel commun, une culture élitiste, qui ne peut engendrer que de la nostalgie, et rien d'autre, donc, en tout cas, rien de constructif.
Aussi, dans cette fiction, les personnages, à la croisée de plusieurs pays et, étonnamment, de plusieurs époques, se compliquent la vie, s'abîment, alors qu'ils s'aiment de manière alambiquée, perverse, se font du mal à eux-mêmes, s'avilissent parfois. Les compromis sont douloureux. La construction européenne serait-elle à cette image ?

Je ne partage pas ce point de vue. Il ne peut pas y avoir d'Europe sans projet fédérateur - à mettre en commun, sans jeu de mot -.
Chez ces personnages, il n'y en a pas : ils ne savent pas exactement ce qu'ils cherchent. Outre la régulation économique et la libre concurrence, c'est un peu le cas. La prospérité économique, les conditions d'une croissance stable et la recherche d'un modèle social seraient de nouveaux moteurs qu'apportent cette crise. A tout hasard, malheur est bon.

Si le style est agréable, les références sont souvent gratuites, le détour par tant de fictions, d'artifices lointains me paraît tiré par les cheveux. Et, surtout, ce que je n'aime pas tellement dans la méthode, c'est qu'il ne livre pas de méthode, d'issue de secours, de projet de rechange.
Les personnages ont tous du charme dans leur folie ou leurs faiblesse, mais à quoi bon ? Tout n'est pas si clair. Je pense que cela est dû à un manque de références de ma part. L'idée générale se laisse saisir, les détours un peu moins. Peut-être que l'auteur s'est laissé aller à se faire plaisir.

Veneziano - Paris - 46 ans - 20 mars 2010