La troisième sphère
de Amos Oz

critiqué par Kinbote, le 10 août 2008
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Six jours dans la vie de Fima
Mais qu’est-ce qui rend Ephraïm Nissan si attachant, cet homme qui mêle la politique à toute chose, qui vaticine, vitupère, qui n’arrête pas de donner son opinion, de refaire le monde à commencer par Israël.

Fima, comme on l’appelle, a 54 ans, il écrit des articles dans des journaux, il est divorcé mais continue de fréquenter son ex-femme et le mari de celle-ci et il s’est pris d’affection pour l’enfant albinos qu’elle a eu après lui.
Il est prisonnier de ses manies de célibataire, de ses tics de pensée, il a des problèmes de vessie, d’estomac, d’érection ; il baise de temps à autre avec une amie de son ex qui a un mari volage. Ce qui ne l’empêche pas d’entretenir des relations amicales fortes avec ces hommes. Il travaille comme réceptionniste dans une clinique privée consacrée aux « maladies des femmes ». Il est culpabilisé par le sort réservé aux Arabes des territoires occupés, il a honte de la politique de son pays en la matière qu’il ne manque pas de comparer à celle des nazis envers les Juifs. Il compatit au sort des femmes, il compatit à la souffrance du monde. Avec les femmes, et son ex-épouse en particulier, « il aspire confusément à une intimité d’un autre ordre, ni sexuelle ni maternelle, quelque chose d’indéfinissable, secret et subtil, qui aurait définitivement changé sa vie, s’il avait pu l’atteindre, ne fut-ce qu’une seule fois». Mais il sait au fond que ce désir adolescent, comme il le qualifie, est voué à l’échec. Il sait que dans cent ans même le conflit israélo-palestinien sera dépassé (pour lui l’opposition Juifs –chrétiens est plus durable).

Un matin, posté à sa fenêtre et contemplant les collines de Bethléem, tiraillé par ses questionnements habituels, il perçoit un état qui concilierait tous ses paradoxes, les contradictions multiples qui apparaissent à l’homme, et il connaît une sorte d’éveil qu’il choisit d’appeler « la troisième sphère », « une synthèse quasi mystique entre le réel et l’absolu », tel que défini dans la quatrième de couverture. Mais écoutons ce que l’auteur en dit : « Souvent, le sommeil lui paraissait moins mensonger que la veille et, paradoxalement, il lui semblait parfois aspirer à la clairvoyance la plus aiguë. Pour l’heure, la lumière qui depuis l’aube irradiait autour de lui et en lui, lui laissait entrevoir, outre le sommeil et la veille, l’existence d’un troisième état que, faute de mieux, il appela « troisième sphère », issu de la convergence de cette pure lumière (la « lumière d’en haut »), émanant simultanément des sommets et de lui-même, en tous points semblable à la veille la plus aiguë ou à la plus profonde léthargie ». Plus loin, on peut lire « La troisième sphère supposait de l’homme un complet détachement. Il lui faudrait s’affranchir de son âge, de son sexe, du temps, de ses racines, de tout… Et se poster sous le ciel nocturne. Mais qui en était capable. »

A la fin du roman, son père meurt et il a l’impression que ce drame "l’a fait évoluer à une vitesse extraordinaire, lui a conféré une espèce d’autorité qui lui faisait défaut jusqu’alors". Rien n’est résolu, pour lui ni pour le monde, mais désormais il a en quelque sorte pris la mesure des choses et de son être dans le temps, la fin de sa vie ne sera pas moins sûre mais plus apaisée, sereine, comme une douce lumière venue de la fin comme de l’origine des temps.
Un héros sensible, décalé et brillant 9 étoiles

Etre sensible et décale n'empêche pas d'être brillant. Réussir sa communication dans son monde professionnel n'empêche pas les maladresses relationnelles et ce paradoxe permet de développer une forme de charme. C'est ce que prouve l'histoire d'Ephraïm, dit Fima, anti-héros talentueux et superbe, d'autant que l'évolution de son pays n'implique pas toujours à la stabilité. Ce roman s'avère fin, drôle et émouvant.

Veneziano - Paris - 46 ans - 2 mai 2019