Le temps est un songe
de Henri-René Lenormand

critiqué par Jean Meurtrier, le 26 juin 2008
(Tilff - 49 ans)


La note:  étoiles
L’étang, on y songe, on y plonge
C’est l’automne, et l’humide végétation cerne la grande demeure familiale des Van Eyden à Utrecht. Aidée par Mme Beune, la gouvernante, Riemke Van Eyden s’apprête à recevoir son frère Nico qui revient de Java accompagné de Saïdyah, son confident indigène. Elle invite à cette occasion son amie Romée Cremers qui a été victime d’une inquiétante hallucination en arrivant. Elle a cru voir Nico se noyant dans l’étang qui longe l’entrée de la propriété. Romée en touche un mot à Riemke qui lui demande de ne pas en parler à Nico. Mentalement très fragile, il ne supporte pas plus le climat batave que sa sœur celui des Indes.
Au bout de trois mois, Romée et Nico, qui se sont entichés l’un de l’autre, projettent de repartir ensemble sur l’île de Java. Cela devient urgent pour Nico qui sent revenir ses angoisses existentielles liées à sa conviction que la vie n’est qu’un parcours séquentiel, restreint et quasi aveugle dans un monde universel et intemporel que seuls certains médiums entrevoient. Afin de vérifier son hypothèse, il a attenté à ses jours sans succès quelques années auparavant.
Romée tente de récupérer Nico par son amour, mais ce dernier est irrésistiblement attiré par l’eau stagnante, opaque comme les limites de la vie, du moins en surface. Il voit dans ces reflets sombres une analogie au mystère qui le préoccupe. La vision de Romée apparait de plus en plus prémonitoire.
Le langage un peu désuet de cette pièce trahit son âge (bientôt 90 ans) mais contraste avec la modernité de son thème et de son traitement plus juste que subtil. Lenormand est un auteur oublié de l’entre-deux-guerres, passionné par Freud et la psychanalyse. Pourtant, dans le cas présent, il est plutôt question d’un discours philosophique et athée sur un état transcendantal dans lequel la vie n’est qu’un songe temporel et fragmentaire duquel Nico tente de s’extirper par le suicide.
L’idée fondamentale du récit est soutenue par l’atmosphère lourde, humide et putride dans laquelle baigne la famille Van Eyden. Résignés, piégés par l’omniprésence onirique de l’élément aquatique, les protagonistes, en ce comprise Romée, ploient sous le conglomérat végétal et brumeux d’un destin dont ils ne peuvent se soustraire.
Cette pièce s’avère redondante au sein de l’œuvre de Lenormand. Mais prise isolément, elle a le pouvoir d’entrainer le spectateur, même en désaccord avec les thèses exposées, dans les profondeurs de l’existence, comme Nico subjugué jusqu’à l’abandon par l’envie de connaître ce qui le dépasse.