L'homme rapaillé
de Gaston Miron

critiqué par Vigno, le 29 octobre 2001
( - - ans)


La note:  étoiles
Miron le magnifique
On s’entend au Québec pour dire que Gaston Miron est l’un de nos plus grands poètes. Et ce n’est pas parce que Bernard Pivot, dans sa Bibliothèque idéale, l’a inséré parmi les cinquante plus grands poètes francophones.
Il est l’auteur d'un seul livre, commencé dans les années 1950, qui a connu de multiples évolutions, livre toujours inachevé lorsque la mort survient en 1996. Ce livre, c’est L’Homme rapaillé (québécisme : remettre ensemble ce qui a été séparé).
Ce recueil peut être lu en dehors de toutes considérations historiques et locales, comme en font foi les nombreuses traductions. Pourtant, il est lié à un moment précis de notre histoire. Aux alentours des années 1960, en pleine période de décolonisation, les Canadiens français, aliénés, inféodés aux grands intérêts anglo-saxons depuis la Conquête (1760) sortent de la Grande Noirceur, entrent dans l'Histoire, choisissent de s’appeler les Québécois. Toute une partie de l'œuvre de Miron témoigne de cette période d’effervescence où un peuple choisit de reprendre en main sa destinée. Sa poésie est engagée, revendicatrice, politique, plus proche de la poésie du Tiers-Monde que de celle de l'Europe.
Il est triste et pêle-mêle dans les étoiles tombées livide, muet, nulle part et effaré, vaste fantôme il est ce pays seul avec lui-même et neiges et rocs
un pays que jamais ne rejoint le Soleil natal
(Héritage de la tristesse)
Mais Miron n’est pas qu'un poète de circonstances, qu'un poète national. Il a aussi écrit quelques-uns de nos plus beaux poèmes d'amour, amour le plus souvent malheureux, amour dévoré par le militant. Miron, c'est une espèce de Vieux Romantique, excessif, passionné qui arrive mal à concilier poésie, militantisme et vie sentimentale.
Tu as les yeux pers des champs de rosées tu as les yeux d’aventure et d’années-lumière la douceur du fond des brises au mois de mai dans les accompagnements de ma vie en friche avec cette chaleur d’oiseau à ton corps craintif moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches moi je fonce à vive allure et entêté d'avenir la tête en bas comme un bison dans son destin la blancheur des nénuphars s'élève jusqu'à ton cou pour la conjuration de mes manitous maléfiques moi qui ai des yeux où ciel et mer s'influencent pour la réverbération de ta mort lointaine avec cette tache errante de chevreuil que tu as (La marche à l'amour)
Et encore ? Miron a essayé de cerner la langue québécoise, non pas l’argot, mais une langue héritée de nos ancêtres français et transformée par des circonstances historiques, par cette coupure d’un siècle qui a suivi la Conquête. Ses poèmes sont truffés de québécismes et, plus important encore, ils essaient de reproduire le rythme de la parole populaire québécoise. Un rythme cassé, une phrase souvent orpheline qui se développe plus par à-coups que par longues tirades.
Nous sommes nombreux silencieux raboteux rabotés dans les brouillards de chagrin crus à la peine à piquer du nez dans la souche des misères un feu de mangeoire aux tripes et la tête bon dieu, nous la tête un peu perdue pour reprendre nos deux mains ô nous pris de gel et d'extrême lassitude (Le damned Canuck)
Quand il est décédé en 1996, il est devenu le premier écrivain québécois à se voir offrir des funérailles nationales. Non qu’il fût un héros, mais parce que l’amour, l'amour de la littérature, l’amour de la langue, l’amour du pays ont trouvé en lui un valeureux défenseur, parce qu'il leur a consacré toute sa vie avec une générosité qui n'a que très rarement trouvé sa pareille, du moins chez nous.

Je viens de relire Miron en vue d'en refaire la présentation sur un site québécois (Voir lien à la fin). J'ai aussi relu la présentation que j'ai faite pour Critiques libres. Je n'ai qu'un regret, celui de n'avoir donné que 4 étoiles et demie. Voilà, aujourd'hui je répare.

http://felix.cyberscol.qc.ca/LQ/auteurM/…
Insensible 3 étoiles

Recueil de poèmes lu pour cours au collège sur la littérature québécoise et j’ai eu un peu de rancoeur potacho-estudiantine (la poésie est le médium qui passe le plus mal comme lecture obligatoire). N’empêche que je me rappelle d’avoir aimé une lecture faite par des étudiants, avec une musique d’accompagnement. C’était passionné, mais je n’ai jamais ressenti ça en lisant ce recueil. Je l’ai encore relu dernièrement et il n’y a pas grand-chose qui a trouvé écho en moi.

Au moins, pour la forme, ça ne rimait pas (j’ai toujours détesté ça !), le verbe de Miron est beau, c’est plus les thèmes qui m’ont moins touché. Or, si les poèmes ne m’ont rien fait, quelques articles à la fin de mon édition (Typo) m’ont beaucoup parlé, j’aime bien l’homme. Reste que je crois que c’est un livre nécessaire et je suis contente que ces poèmes aient été écrits, même si ce n’est pas mon genre.

« Jadis
enfant
mon poing révolté
a bondi dans l'espace
il a sifflé dans les arcs-en-ciel
[...]
aujourd’hui debout droit
demain couché brisé
je mourrai d’avoir été le même
je serai une ligne à même la terre
n’ayant plus d’ombre
ô mort
pays possible »

Nance - - - ans - 21 avril 2010