Place Monge
de Jean-Yves Laurichesse

critiqué par Sahkti, le 2 mai 2008
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Mémoires de guerre
Un homme rédige une lettre, il se trouve dans un appartement vide, inoccupé depuis longtemps. L'homme est en permission, c'est un militaire. Sa femme et son fils l'attendent, chacun manque à l'autre. Pendant sa période militaire, de nombreuses missives parviennent à sa famille; des lettres que nous retrouverons plus tard dans le livre.
La mort le fauche, son décès est annoncé par la voie hiérarchique à son épouse; celle-ci survit et ne parvient à recommencer à respirer que lorsque la veuve d'un compagnon d'armes de son mari prend contact avec elle. Le fils, orphelin de ce père qu'il a trop peu connu, bouclera la boucle, à sa manière.

Aller-retour dans la mémoire, avec les risques de confusion que peut engendrer une telle expédition, mais le procédé est intéressant dans la mesure où il permet au récit d'avancer par bribes et pas poussées évolutives, entraînant avec lui le lecteur dans ses déambulations.
La corde du sensible est titillée, jamais trop, le texte fait preuve d'une certaine retenue et c'est tant mieux. La gravité du sujet transparaît finement et subtilement, tout en douceur et en poésie.

La construction du récit m'a plu, succession de périodes mais aussi de points de vue; ça brise la linéarité de l'ensemble, tout en offrant une vision globale de l'histoire, qui prend beaucoup de sens avec les dernières lignes.
Une belle histoire, sobrement racontée.
Un petit côté de la Grande Guerre ? ou le seul qui vaille de nos jours ? 9 étoiles

Place Monge à Paris. Une adresse. Un lieu de souvenirs attendrissants qui apparaît au début et à la fin du roman, visité à la fois par père et fils en des temps où les âges semblent se confondre.
Jean, officier en permission de son service au front durant la Grande Guerre, se retrouve à l’étude de notaire où il travaillait. Lieu déserté, sa famille ayant évacué en Auvergne. Tous les objets se chargent de souvenirs. La progression du roman bascule : extraits de lettres envoyées du front, avis dactylographiés provenant des autorités militaires annonçant que Jean est mort en brave à la tête de sa brigade. La vie des proches qui restent en est, évidemment, bouleversée. De nouvelles solidarités se créent, notamment entre la veuve et la veuve d’un ami de son mari. En fait, tout un pan rarement décrit dans les romans ou récits de la première guerre mondiale : pas de descriptions de combats mais plutôt les soucis du soldat par rapport à la vie quotidienne de ses proches, les difficultés qu’il rencontre au front, non pas celles du combat qu’il gomme pour ne pas effrayer mais celles des rigueurs de l’hiver comme si c’était les seules auxquelles il doive faire face.
Jean-Yves Laurichesse a une plume séduisante et trouve le mot juste en adéquation avec l’époque des faits, début vingtième. Style varié dans l’épistolaire même : lettres du mari à l’épouse, celles des compagnons de combat à la veuve, celles de la veuve de l’ami à la veuve ou encore celles, pompeuses, des autorités militaires à la veuve. Chaque fois, l’auteur adapte sa façon d’écrire aux sentiments qu’éprouvent les auteurs des lettres.

Ddh - Mouscron - 82 ans - 21 octobre 2008


Un très beau roman 10 étoiles

C'est un très beau roman, une belle histoire d'amour, empreinte d'une grande mélancolie.
Ce livre m'a beaucoup touchée ..
L'écriture est très belle et sensible. J'ai beaucoup aimé la fin, très poétique...

Bibie - - 68 ans - 22 mai 2008


Une famille dans la Grande Guerre 9 étoiles

Dans ce petit livre émouvant, Jean-Yves Laurichesse fait revivre, à base de documents retrouvés, le drame d’une famille, la sienne, victime de la Grande Guerre. Il fait parler des témoignages, ou plutôt il les laisse parler puisqu’il le fait avec tant de discrétion. L’effet cumulatif des morts est bouleversant, et le cri déchirant de la survivante, qu’il garde pour la fin, est d’autant plus touchant que son ton à lui reste sobre. J’aime beaucoup la façon dont il traite les personnages, s’identifiant avec Jean, explicitement à la fin, et restant en retrait par rapport à Gabrielle : ses actes et sa mort parlent pour elle. Et j’aime aussi la délicatesse avec laquelle il rend hommage à Perec — qui lui aussi avait des atttaches dans ce quartier parce qu’il a écrit Les Choses à deux pas de la Place Monge, rue Quatrefage — , à Giono — dernière manière — et surtout à Claude Simon chez qui le narrateur monte à la fin du livre. Comme Claude Simon dans L’Acacia, Laurichesse écrit « à base de vécu » ; par l’usage du « il », son histoire dépasse le particulier. Mais Laurichesse ne cherche pas à rivaliser avec Simon par une prose épique ou lyrique. La musique de sa prose et le ton de sa voix lui sont propres : non pas du Simon, mais du Laurichesse.

Tonkin - - 81 ans - 20 mai 2008