Les Balcons de la mer du Nord
de Wāsīnī al- Aʿraǧ

critiqué par Débézed, le 14 avril 2008
(Besançon - 76 ans)


La note:  étoiles
Un artiste qui n'a que son art pour refuser la barbarie
« On ne quitte sa patrie que pour épouser une tombe dans l’exil » craint Yacine, « Un artiste qui n’a que son art pour refuser la barbarie » et qui fuit l’Algérie où depuis sept ans il vit « comme un rat qui cherche les moyens les plus sûrs de rester vivant».

Dans l’avion qui l’emmène à Amsterdam où il a depuis près de vingt ans rendez-vous avec Fitna l’une des trois femmes qui l’ont aimé et qui ont construit sa vie, il fait revivre ces amours comme pour en faire le deuil. Najris, la femme de la radio dont il ne connut et aima que la voix qui lui fournissait la matière des rédactions que l’institutrice lui demandait et qu’il ne pouvait imaginer dans son petit monde fermé sans mentir comme ses amis. Fitna, la folle qui n’a pas supporté la mort du frère admiré et qui lui a offert sa première nuit d’amour avant de disparaître dans la mer pour mourir d’amour et ne pas vivre de haine. Mais est-elle réellement morte ? Zoulikha enfin, la sœur aînée qui l’a initié à la sculpture et aux désillusions de la vie et qui décéda trop vite après la trahison de son amour.


Yacine quitte son pays où l’amour n’est plus possible, où même la haine est devenue vaine et qui « appartient aujourd’hui à ceux qui ont fait son lit depuis l’indépendance et qui chaque nuit le corrompent davantage par toujours plus de prostitution, de meurtres, de déchéance. »

Arrivé à Amsterdam, quand l’amour est mort, que la haine n’est plus possible et que le souvenir des êtres chers assassinés sans raison valables envahit la mémoire, l’amertume s’installe et attise la douleur de l’exil qui petit à petit s’instille au cœur de l’âme. Et, c’est en confessant cette douleur à Hanine, autre exilée, qu’il rencontrera son destin et qu’il pourra mettre son exil en accord avec son passé.

A travers ce roman, Waciny Laredj, écrivain algérien né en 1954, retrace le destin funeste qu’a connu l’Algérie après son indépendance, un « pays (qui) n’a pas de présent et s’obstine à assassiner le passé de passion qui l’aurait peut-être sauvé ». Mais plus largement il évoque le thème du «destin qui est écrit à l’avance pour chacun de nous » et qui décide de la vie, de l’amour, de la haine et de la mort comme pour les intellectuels algériens et les femmes algériennes qui paient un lourd tribu à l’obscurantisme d’une religion vidée de sa spiritualité et manipulée par la nouvelle classe enrichie. Et de plus en plus «la vie est une parenthèse éphémère dans une phrase inutile ».

La langue arabe utilisée par Laredj permet de traduire les sensations et les émotions comme elle véhicule les saveurs, les aromes et la musique, et l’auteur en joue comme un alchimiste qui fait sourdre les essences de sa cornue. « Une petite musique de nuit » de Mozart et le « Concerto d’Aranjuez » de Rodrigo scande le roman comme ils rythmaient la vie au village sous l’archet de la folle qui mettait en garde le héros avec cet avertissement : « ne gâche jamais la partie folle en toi, elle est la plus juste et la plus humaine ».