Faits, II
de Marcel Cohen

critiqué par Feint, le 10 avril 2008
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Résistances
Parmi les livres que j’ai lus récemment, Faits II, de Marcel Cohen, dont je n’avais encore rien lu, est à coup sûr un de ceux qui m’a laissé la plus forte impression. Mais j’ai du mal à trouver les mots pour l’expliquer. Je comprends mieux d’ailleurs pourquoi la quatrième de couverture est si longue et si précautionneuse. L’objet, a priori, ne revendique pas son statut d’œuvre littéraire. La lecture cependant sans faille le lui assure. Composé d’une matière qui ne doit rien à la fiction, écrit dans une langue épurée qui vise à l’efficacité, Faits II est littéraire d’une manière sobre, mais essentielle. C’est une littérature où le moi discrètement s’efface, se réduit à la simple subjectivité d’un regard, plus souvent encore d’une écoute, celle aussi du choix des motifs ; une littérature entièrement orientée vers le monde, dans sa plus grande diversité – sa plus grande disparité. Sont tour à tour évoqués, en une succession de textes brefs sans titres, juste numérotés comme des chapitres, la résistance héroïque d’un tout petit enfant aux semonces de son père, les messages des déportés sur les murs de Drancy à la veille de leur départ pour Auschwitz, les conditions de vie des marins sur un porte-conteneur, l’étrange odyssée du Buddleia Davidii dont un plant unique parvient à essaimer à travers toute l’Europe… J’arrête la liste : il y a cent cinq textes sur les sujets apparemment les plus variés mais où, le plus souvent (quoique de manière discrète), la résistance joue un rôle essentiel. Là, sans doute, se dessine en creux l’histoire personnelle, à laquelle l’auteur ne donne pas plus de place. Marcel Cohen emprunte parfois ses sujets à la presse, met en scène nommément des personnes réelles et ne craint pas si nécessaire d’insérer des notes explicatives. D’autres fois, il crée des manières de fictions minimales et putatives (« Un homme prend chaque matin… », « Deux fois au moins, se souvient un homme… ») ; quand il ne limite pas son texte à un simple dialogue entre interlocuteurs anonymes. C’est que l’essentiel n’est pas là. Le temps de la mise en forme décorative est dépassé. L’essentiel, c’est de dire, dans l’urgence, ce que vivent les hommes.