Avalanche, Impasse
de Tuncer Cücenoğlu

critiqué par Sahkti, le 30 mars 2008
(Genève - 49 ans)


La note:  étoiles
Totalitarisme et vengeance
Superbe! je suis tombée sous le charme du théâtre de Tuncer Cûcenoglu, auteur turc reconnu dans le domaine de la critique sociale.
Ce recueil (encore une petite merveille des éditions L'espace d'un Instant) est composé de deux pièces, Avalanche et Impasse.

AVALANCHE: Nous sommes dans un petit village de haute montagne où neuf mois sur douze, le silence est requis, en raison d'une crainte ancestrale des avalanches. Les gens ne peuvent pas crier, ni faire l'amour et on refuse aux femmes le droit d'accoucher en dehors des périodes requises sous peine de se voir enfermées vives dans un cercueil qui étouffera tout bruit et ce, jusqu'au retour des beaux jours. Ce qui signe leur arrêt de mort, bien entendu... Et voilà, arrive ce qui doit arriver, une jeune femme annonce des signes d'accouchement prématuré et c'est tout le village qui se retrouve bouleversé. La milice est convoquée, le conseil des sages doit prendre une décision à son sujet. Nous sommes en plein dans la dictature absurde du silence, celle imposée par un pouvoir à tout un peuple, qui lui dicte ses lois, même les plus stupides au nom de principes qui étouffent complètement l'Homme. Les règles doivent être respectées ou c'est la mort assurée; cette peur de l'avalanche symbolise l'oppression et la bêtise de certains régimes totalitaires. Le lecteur est partagé entre le sourire et la consternation, tant la situation est absurde. Dramatique aussi, parce que propre à certains pays, que l'on pense, parfois, à tort libérés d'un joug politique alors qu'il n'en est rien. Le fait qu'à la fin, lorsque la femme accouche, le rideau tombe dans que l'on sache si l'avalanche se produira plus tard (sur le moment-même, rien) illustre cette illusion de liberté que peuvent avoir certains dissidents avant qu'une nouvelle chape de plomb ne leur tombe sur le dos.

IMPASSE: L'auteur a placé le lieu géographique de cette pièce en Grèce, 1974, soit à la fin du Régime des Colonels. Pour des raisons de censure, il n'a pas voulu situer l'action en Turquie, d'autant plus que recul et tolérance étaient alors des mots inexistants. La Grèce sortait d'une période difficile et faisait l'apprentissage de la démocratie, une leçon dont pouvait s'inspirer le voisin turc...
Celika et Lilika sont soeurs. La première a subi moult tortures pendant la dictature de 1967 et les campagnes d'arrestations qui ont eu lieu, elle a perdu son mari. Sept ans plus tard, elle organise un coup monté avec sa soeur pour attirer chez elles Spanos, ancien bourreau, qui ne faisait qu'obéir aux lois stupides d'un pays en guerre et qui tente aujourd'hui de s'en défendre, alors que Celika brandit une arme contre sa tempe. Lilika est partagée, l'heure est peut-être au pardon. A quoi servirait-il d'éternellement se venger?
La révolte de Célika est palpable et on ne peut s'empêcher de se glisser dans sa peau, de ressentir cette déchirure qui l'habite depuis toutes ces années. Le discours humaniste de Lilika trouve également grâce à nos oreilles et voilà, c'est le dilemme, qu'aurions-nous fait en pareil cas? Une leçon sur le pardon, la tolérance mais aussi sur le travail de mémoire à mener afin que de telles situations ne se reproduisent pas. Utopique?

Dans les deux cas, des textes humains, touchants et bien écrits, qui abordent les maux actuels de toute une société, qu'elle soit grecque, turque ou autre. Le propos de Tuncer Cûcenoglu s'applique à pas mal de pays.