Balayer, fermer, partir
de Lise Benincà

critiqué par Feint, le 27 mars 2008
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Habiter, habitée
Deux temps, deux lieux.
Au présent le progressif désarroi d’une femme seule dans son appartement : une pièce reste fermée (son compagnon est en déplacement, c’est son bureau), parce qu’elle ne parvient à l’« habiter ».
Au passé le souvenir d’une maison, celle de son enfance, que son père a construite de ses mains – construisant peu à peu, sans s’en rendre compte, sa propre folie.
Le père vient de mourir, la maison désormais appartient à la narratrice et à sa sœur. Cette dernière, trop loin, laisse à la narratrice le soin de. Il ne lui reste plus qu’à.
Dans une langue simple, sobre même, ce récit au présent, quasi sans intrigue, creuse la relation de l’être au lieu, sa capacité à l’habiter – ou plutôt son incapacité relative – pour des raisons d’abord secrètes, qui se révèlent peu à peu, comme sur le mur la tache d’humidité. La douleur sourde sonne juste. Une belle lecture.

Un extrait :

« Quelqu’un m’a dit : On l’a retrouvé là. Dans le fauteuil.

Le regard vide de mon père. Son air désemparé, à chercher une ampoule à changer, un carré de moquette à recoller. S’occuper. S’occuper de la maison. Faire un jardin potager, des fruits des légumes, cela aurait pu être une idée, disait ma mère, mais les mauvaises herbes bêcher planter, pas son truc non franchement. Les groseilliers, c’est nous qui les avions plantés. Autour de la maison, des graviers déversés par des camions bennes aux énormes roues. Puis des arbustes coriaces, résistants au gel, plantés à intervalles réguliers pour former des haies. Volets repeints le week-end dernier, pas de fuite dans le toit, cheminée ramonée, bon. Allez, dit ma mère, on saute dans la voiture et on va prendre l’air.
Fissure dans la cage d’escalier, dit mon père. À vérifier.
À notre retour il est assis dans un des fauteuils du salon, face au mur. Il dit : Quand je pense que je l’ai monté tout seul. »

p. 62