Chrysalide
de Aude

critiqué par Amanda m, le 21 mars 2008
( - 57 ans)


La note:  étoiles
et la jeune fille devint jeune femme
C’est chic, d’être une ado normale, non ? On se contente de suivre le modèle social consciencieusement établi, on s’invente des petits soucis et des grands espoirs, on laisse filer le temps et on grandit en étouffant cette petite voix qui nous dit, tout bas, quand on est seul, que non, ça ne va pas si bien que ça. Cette petite voix qui nous dérange, insidieuse et sournoise, qui apparaît et disparaît, pour mieux revenir au moment où l'on s’y attend le moins.

La petite voix de Catherine revient brutalement, le jour de ses 14 ans. Elle est la seule à l’entendre, mais la petite voix est assourdissante, elle lui brise les tympans. Alors Catherine fonce dans la salle de bains et avale tout ce qui lui tombe sous la main. « Je suis allée m’enfermer dans la salle de bains du haut et, sans réfléchir une seconde, j’ai ingurgité pêle-mêle tout ce que j’ai trouvé, des médicaments aux produits ménagers sur lesquels il y a avait une tête de mort. Sans aucune préméditation, j’ai sauté dans le vide, hors du nid dans lequel j’avais pourtant vécu peinarde tant d’années. Peu m’importait où j’atterrirais, pourvu que ce soit ailleurs et que je me retrouve autre. Or, quand je suis sortie du coma, j’ai eu l’impression que je me retrouvais exactement à l’endroit d’où j’étais partie et d’être toujours la même. »

Catherine survit donc. Ses parents ne comprennent pas son geste. Ses amies non plus. D’ailleurs, elle les perd ses amies. Parce que souvent, on est ami quand tout va bien. Mais à condition de ne pas affliger autrui de son mal-être. Représentation, on vous dit. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Déprimés passez votre chemin, allez vous faire soigner et ne gâchez pas notre univers si propret, ok ?

C’est le roman d’une lente éclosion, d’une résurrection. Catherine cherchera toujours à devenir elle-même, se cherchera, se perdra, se retrouvera.

Le style est simple, plutôt factuel, mais terriblement efficace. L’auteur ne brode pas, elle décrit, plutôt brillamment d’ailleurs, le poids d’une société où l’on doit se glisser dans la conformité, respecter la normalité, correspondre aux critères bienséants de sa sphère sociale.

Que ce soit dans l’intimité (« Pour la plupart, la sexualité semblait consister principalement en des actions précises dans le but de déclancher des réactions déterminées. Action-réaction, action-réaction, action-réaction. On pourrait croire que cela était donc très simple, mais ce n’était pas du tout le cas. Ce qui semblait fonctionner à merveille dans les films pornos qu’ils avaient vus, et qui semblaient être souvent leur référence de base, ne produisait pas les mêmes effets dans la réalité. ») ou dans la sphère sociale et familiale (« j’avais bousillé leur œuvre. Je les remettais en question aux yeux des autres et à leurs propres yeux. Ils n’étaient pas mieux que ceux qui avaient des enfants à problème et auxquels ils s’étaient permis de donner délicatement des conseils quant à la façon d’éduquer un enfant. J’avais détruit la confiance suffisante qu’ils avaient dans le fait d’être au dessus de la mêlée. »), Aude raconte le cheminement d’une jeune femme, ses doutes, ses convictions, qui la mèneront à devenir une femme, à éclore et s’affranchir du poids des conventions.

« Je me mettais à la place de la chenille, dans le cocon. Et même si je savais qu’il allait en sortir un papillon, qu’il s’agissait d’une transformation et non d’une véritable mort, je trouvais cruel ce passage qui incluait sa destruction à elle. Or, la chenille ne souffre pas quand elle vit sa métamorphose. Pas plus que le fœtus ne souffre quand il lui pousse des jambes, des bras, des doigts, des yeux. Alors que moi, ça me faisait parfois très mal de me transformer lentement en femme. »