L'Eloge de l'Apocalypse
de Patryck Froissart

critiqué par FROISSART, le 26 février 2008
(St Paul - 76 ans)


La note:  étoiles
L'Apocalypse selon Patryck Froissart
Dans l'Express du 4 avril 2005
POÉSIE
L’apocalypse selon Patryck Froissart

A travers une poésie éclatante, le poète exprime les maux d’un monde qu’il faut refaire. Avec regret, il attend la défaite finale. Avec espoir, il chante la réalisation d’une prophétie.
Patryck Froissart, poète mascarin publie un recueil de poèmes dans lequel il offre une vision originale de la fin des temps.

Et si l’apocalypse était notre seul espoir ! Si la fin du monde était notre seule et unique délivrance ! Pourquoi alors “porter plus loin ce pénible panier” ? Telle est la vision d’apocalypse qu’offre la poésie de Patryck Froissart, poète et principal à l’Ecole du Centre.

Lancé la semaine dernière au Centre culturel Charles Baudelaire, L’éloge de l’apocalypse est «la compilation de textes dont certains ont déjà paru dans des magazines et revues», affirme le poète. Les textes sont ici regroupés et retravaillés. Pour les besoins de la publication, “j’ai doublé d’un second texte en rapport avec le premier”, explique-t-il. Résultat : un petit recueil de “poèmes tout noirs”, à l’image de la couverture qui en broie, mais qui nous invite à souhaiter avec lucidité et poésie la fin des temps ou plutôt le début d’un tout nouveau monde, puisque le titre, à double-sens lui-même, en faisant l’éloge de l’apocalypse fait en quelque sorte celui d’un nouveau monde. A coup sûr, la Bête sera vaincue par l’Agneau. Alors, “en quoi le jour dernier peut-il terrifier” ?

Ce petit recueil de poèmes aux formes fixes et variables et aux vers classiques exploite, on l’aura compris, un même thème : l’aspect noir du monde. Un puissant sentiment du monde à la dérive a fait de Patryck Froissart un poète dont la vision oscille entre le désespoir et l’attente. D’une part, “nul tain ne me convainc/ Que je vis désespéré”, écrit-il, et d’autre part, “quel est ce triste hère/qui erre par la terre ?”, s’interroge-t-il.

“Ce petit recueil de poèmes aux
formes fixes et variables et aux vers
classiques exploite, on l’aura compris,
un même thème : l’aspect noir
du monde. Un puissant sentiment
du monde à la dérive a fait de
Patryck Froissart un poète dont la
vision oscille entre le désespoir et
l’attente.”

Pour comprendre l’origine de ce sentiment ambivalent qui anime la poésie de ce poète, désabusé semble-t-il, il faut revoir son rapport avec la société, énorme buisson dans lequel est enfouie “la folie du moderne Néron”, car “dans ce bois sont tapis de modernes vampires.” Mais des temps modernes, “le loup n’est plus au bois : il hurle à ma lucarne”.

Il n’en faut pas plus pour deviner que si faute il y a, elle ne peut être que du côté de l’homme, “l’être inane”. Nul doute, “l’homme est toujours l’énorme erreur”, écrit-il. Osez les voir, ces êtres sans scrupules : “ils tuent, obtus, ils tuent, mus par des faux docteurs.” Pendant que “le vicaire baveux déprave le candide”, et que “le prêtre au presbytère éprouve l’innocent”, “là-bas l’infâme éventre une femme et la pend”, “le nazi s’égosille et fait donner la claque”, “le banquier dévalise et l’usurier cupide”. Partout, tout est souillé, tout est vain. Et le poète, impuissant, se contente de s’exclamer : “dans les champs, dans les rues, que de sang, que de haine !”

Pourtant l’homme aura été prévenu : “tes frères voleras, violeras et tueras !” Mais rien n’a pu faire que toutes ces choses-là n’ont eu lieu. Voilà qui confirme l’axiome que “l’homme est un loup pour l’homme”. Voilà pourquoi la misère s’est installée sur les trottoirs, pourquoi les enfants se vendent “à la sauvette” à ceux qui oseraient les prendre. Et voilà pourquoi “l’humanité purule et le chancre est vainqueur.” Et au poète de conclure que, malgré le ciel chaleureux, le doux frôler de la brise, le tableau de la plage qui dort et du lagon qui s’étale, pour “l’indolent mascarin” qu’il est, “l’heure est insolite en ce siècle morose.”

Voilà encore qui explique pourquoi sa poésie prend l’aspect de cette éternelle interrogation : “où se terre ce dieu qui régna sur les cieux ?”. Mais tout est déjà vanité. La poésie même et son interrogation est un cri dans le désert. Et l’absurde gagne “ces vers (qui) font litière à (son) proche sommier” et tout le “poème est un venteux verbiage” qui, du coup, “se décompose/ Fatalement en pauvre prose/ Tous mes vers sont dans mon génome”. Face à ce “peuple imparfait pour la cosmique alliance”, il ne lui reste alors qu’une seule alternative : la fuite. “Si vous m’aviez offert, ma mère, avec le jour,/ le choix de repartir pour l’utérine nuit/ je m’y fusse enfui sans deuil et sans ennui/ pour le rare plaisir de l’immédiat rebours”.

Déjà, en ce moment même, s’il n’avait pas appris nos débiles outrances, il serait en train de mailler “des vers en effeuillant des roses”. Car chez lui, “la phrase est (son) transport,/ Le verbe (sa) patrie, le penser lent (son) sport”. Mais, puisque “l’homme ne vaut vesse de veau”, c’est “à des êtres pensifs, paisibles, soucieux” qu’il se propose de réserver sa science. Certes, le poète aspire à la tranquillité, “au calme lent des déserts impubères”. Ce n’est pas l’envie de s’enfuir dans “un trou de campagne” et de faire “bombance aux fruits de l’insouciance” qui lui manque. Mais “se départir ? Sous quels soleils ? Tout est pareil !”, “où changer d’air ? Où s’égailler ? Tout est souillé !”, “Où s’évader ? Dans quelle idée ? Tout est bordé !” Alors, il lui faut agir. Car, “j’aimerais entrevoir quelque rond de douceur, quelque orbe de blancheur, quelque aura de candeur.”

Mais, hélas ! Combien amère est la constatation de son impuissance, comme il l’exprime dans ces vers : “je joins mon murmure aux voix humbles qui veulent étouffer d’un chant doux le cri fou des bourreaux […] ma parole est timide et ma personne est veule.” Il n’y a pas d’issue. Ni dans l’engagement ni dans la fuite. Alors, “pourquoi s’inventer un destin” ? Il ne lui reste plus que la possibilité de nourrir en secret un dernier souhait : attendre passivement jusqu’au jour où “il me viendra l’envie définitive et sage/ de m’enrober au sable émouvant d’une plage […] L’idée me plaît qu’un jour à déjeuner je serve/ A la vermine à qui je fais don sans réserve/ De mon vain cytoplasme…” Pour se venger de la matière porteuse de tous les maux, le poète a choisi alors de lui donner un destin : “Je dédierai ma viande à l’obscure annélide.” Aussi reconnaît-il la source propre de ses maux : “J’ai cherché dans la glèbe un sens à l’existence.” On comprend pourquoi l’apocalypse devient désirable !

Vel Putchay
(L'Express)