La guerre de Troie n'aura pas lieu
de Jean Giraudoux

critiqué par Jules, le 13 octobre 2001
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Où la "Vox Populi" déborde le pouvoir et provoque la guerre
Jean Giraudoux nous offre un superbe texte, tout à fait autre que ce que nous aurions pu imaginer. Certains personnages nous sont montrés forts différents du portrait que l’histoire nous en a laissé. C'est surtout le cas pour Hector, Hélène et Pâris, mais aussi pour les Grecs.
Evidement nous savons tous que la guerre de Troie aura bien lieu ! Alors pourquoi ce titre ?. Parce que nous découvrons un Hector entièrement opposé à cette guerre, qui fera tout pour qu'elle ne se déclenche pas, et ce jusqu'à se laisser gifler par un envoyé grec sans bouger !…
Nous voyons également une Hélène, absolument superbe, mais plutôt froide et indifférente. Aime-t-elle Pâris ?… Pâris aime-t-il encore Hélène ? C'est pour le moins vague. Comme le dit Andromaque à Hélène : « Penser que nous allons souffrir, mourir, pour un couple officiel, que la splendeur ou le malheur des âges, que les habitudes des cerveaux et des siècles vont se fonder sur l'aventure de deux être qui ne s’aimaient pas, c’est là l'horreur.… Et la vie de mon fils, et la vie d’Hector vont se jouer sur l'hypocrisie et le simulacre, c'est épouvantable ! »
A quoi Hélène répondra que son amour pour Pâris lui plaît comme il est même si : « Evidemment cela ne tire pas sur mon foie ou ma rate quand Pâris m’abandonne pour le jeu de boule ou pour la pêche au congre… » Mais elle reconnaît être aimantée par lui et dit qu'elle ne se voit pas retourner chez Ménélas. Pourtant, à la demande d’Hector elle est prête à accepter de retourner chez les Grecs.
Mais Hélène, comme Cassandre, sent bien que les dés sont jetés et qu’il n'y a plus rien à faire. Hector aura beau se débattre pour tenter d'éviter cette guerre, il n'y arrivera pas. Comme le dit Demokos, le poète et chef du sénat : « Hélène n’est pas à toi seul Pâris. Elle est à la ville. Elle est au pays » Pour le peuple cette femme est devenue un symbole et sa beauté n'y est pas pour rien ! Les décisions ne sont donc plus rationnelles, ni entre les mains des véritables décideurs. Quant aux dieux, ils s'opposent à propos du retour d'Hélène chez les Grecs et Zeus, appelé en arbitrage, rendra un avis qui n’est ni chair ni poisson.
A l’arrivée d’Ulysse, envoyé en ambassadeur, il est évident que les Grecs veulent la guerre et les richesses de Troie. En évoquant ces richesses il dit : « Il n'est pas très prudent d’avoir des dieux et des légumes trop dorés » Et quand Hector lui dit qu'il rend Hélène, il répond : « L'insulte au destin ne comporte pas la restitution. »
La guerre va donc éclater parce que, comme le dit Ulysse, les mécanismes sont en route depuis longtemps et qu'il n’est plus possible de s'y opposer. Ce qui est intéressant c'est de voir comment et pourquoi elle va vraiment éclater, quel sera le motif qui empêchera tout retour en arrière.
Ce texte est vraiment très actuel, et je dirais éternel, pour comprendre la marche des choses et comment les hommes perdent le contrôle de leur destin. En outre, il est superbe !
J'adore la dernière réplique qui est de Cassandre : « Le poète troyen est mort… La parole est au poète grec. » Et voilà la porte ouverte à Homère. Qu'aurait été le monde sans les superbes épopées que sont « L’Iliade » et « L’Odyssée » ?… Oui, la guerre de Troie devait avoir lieu !.

Plaidoyer pacifiste ou regret de voir la France être obligée de faire la guerre avec l'Allemagne ? 8 étoiles

Giraudoux s'exprime avec toute l'expérience qui est la sienne : amoureux des auteurs classiques français et familiarisé avec la littérature antique (et la tragédie), germaniste (il est allé en Allemagne avant la guerre de 1914, et il a lu Jean-Paul, et combien d'autres), militaire pendant la Première Guerre mondiale ("blessé à l'aine sur l'Aisne", il est aussi témoin de la désastreuse expédition dans les Dardanelles, participe aux opérations pour la délivrance de la ville de Thann, mais il est également envoyé aux États-Unis et cela est sans doute un peu moins l'exposer, car il ne connut heureusement pas le sort d'un Péguy ou d'un Alain-Fournier, morts au champ d'honneur), le voici diplomate au lendemain de la guerre et grand apôtre de la paix. On veut croire en la vie et l'on s'enivre d'espoir et de plaisir pour ne pas voir les lendemains qui déchantent après les conditions humiliantes imposées à l'Allemagne en 1919, et déjà pointent dès les années 1920 les sombres menaces qui vont bientôt alourdir l'atmosphère européenne dans l'Entre-Deux-Guerres. Alors, non, décidément il faut tout faire pour empêcher que ça ne recommence entre l'Allemagne et la France, soutenir l'entente Briand-Kellog, souhaiter bonne chance à Gustav Stresemann, tout comme Thomas Mann, écrire Siegfried et le Limousin ou la pièce Siegfried. Mais l'orage approche : Hitler est là, qui se fait menaçant pour ses voisins et pour le maintien de la paix.
Alors, jaillit La guerre de Troie n'aura pas lieu, et ne prenons pas cette pièce pour un simple badinage, une aimable plaisanterie ou un pastiche de tragi-comédie grecque doublé d'un clin d'oeil au créateur de l'Iliade ! Non, il y a dans cette pièce, enrobée de préciosité et d'humour, comme toujours chez Giraudoux, une conscience douloureuse de ce qui se prépare et que l'on ne peut éluder, quand bien même les hommes feraient tout pour l'empêcher. Et bientôt, ce seront des armes autrement terribles que celles utilisées par les Grecs et les Troyens qui parleront, mais Giraudoux, après avoir employé le vain langage des mots pour tenter comme Commissaire à l'Information d'empêcher l'inéluctable de se produire, ce sera cet espoir giralducien qui sera anéanti par l'invasion et l'occupation allemande. Le fils de Giraudoux, Jean-Pierre s'engagera dans les FFL, l'interprète et metteur en scène Louis Jouvet aura quitté un moment cette scène européenne où il ne reparaîtra qu'une fois coupées les têtes hideuses du fascisme et du nazisme pour essayer de faire flamboyer dans un très beau chant du cygne les œuvres posthumes de Giraudoux. Mais les fleurs de ce printemps tardif semblaient déjà fanées et évanoui le miracle du théâtre de cet auteur qui s'était éteint à Paris quelques jours avant la Libération et dont Jean Cocteau avait fait un dernier portrait comme il aurait relevé l'empreinte d'une vie éteinte par un masque mortuaire.
Giraudoux sortira-t-il du silence où on veut l'enfermer, parce qu'il ne serait plus de saison, que son style serait passé de mode, que l'on ne saurait où le classer du fait de son attitude durant l'Occupation (prudente mais pas complaisante !) et parce que l'on serait passé à autre chose après tous ces événements.
On redonne bien telle ou telle de ses pièces de théâtre, de manière irrégulière et isolée, mais la faveur dont il jouissait, jusque dans les années 1970, quand reviendra-t-elle ?
Le retour en force de Jean Giraudoux aura-t-il lieu ?
Ce serait bien de ne pas oublier cet homme et son oeuvre qui n'eut de léger que les apparences et dont le questionnement profond est à la hauteur des défis que notre monde a à relever.
François Sarindar

Francois Sarindar - - 66 ans - 17 décembre 2012


Parmi les cinq livres incontournables 10 étoiles

Je suis venu aux livres sur le tard et grâce à Homère. Je veux exprimer par là le respect que j'ai pour l'Iliade et l'Odyssée.
Mais quand on aime l'Iliade, on ne peut qu'aimer ce livre de Giraudoux qui éclaire en miroir l'importance de l'oeuvre d’Homère.

Il est question d'orgueil et de sagesse, n'est ce pas la nature même de l'homme de tanguer entre les deux.

Yeaker - Blace (69) - 50 ans - 20 septembre 2011


Trop rhétorique 5 étoiles

"La Guerre de troie n'aura pas lieu" reste sans doute l'ouvrage dramatique le plus connu de Jean Giraudoux. Et de fait, l'oeuvre est efficace, écrite dans une belle langue; les personnages sont bien dessinés, souvent de façon inattendue, à rebours de la tradition littéraire. Giraudoux explore ainsi un des grands mythes littéraires pour mieux le dynamiter de l'intérieur, et proposer un regard nouveau sur ses personnages et leurs motivations. Mais le projet -si brillant soit-il- ne réussit qu'à moitié. Car l'auteur, en partant des lieux communs liés à la guerre de Troie afin de les détourner, aboutit à un résultat sans subtilité. Il se cantonne à des images fortes un peu simplistes, met dans la bouche des personnages des déclarations à l'emporte-pièce, et tout donne la fâcheuse impression de tourner un peu à vide. Homère et les finesses de "L'Iliade" semblent décidément bien loins, au génial poète a succédé un rhéteur de talent. Séduisant sous bien des aspects, mais trop prosaïque pour être convaincant.

Perlimplim - Paris - 47 ans - 19 mai 2011


Une très bonne pièce 9 étoiles

Une très bonne pièce, toujours d'actualité, qui nous fait bien réfléchir. De plus, plein d'humour et très bien écrit.

PA57 - - 41 ans - 8 juillet 2010


Anticipation ? 8 étoiles

J'ai adoré cette pièce car passionné d'Histoire .
Une 2 ième lecture nous interroge sur le caractère visionnaire de GIRAUDOUX .
Cette pièce est terriblement actuelle et malheureusement intemporelle.
Lecture obligatoire .

Frunny - PARIS - 58 ans - 20 juin 2010


Tirades délicieuses 9 étoiles

La guerre de Troie n’aura pas lieu ? Pourtant, même avec toutes bonnes volontés, tout semble aller contre cette idée. Fatalité, dites-vous ?

J’adore cette pièce, j’ai ri tout le long et ça m’a fait réfléchir. Je la recommande à tout le monde.

« HECTOR : Que voulez-vous ?
OIAX : La guerre !
HECTOR : Rien à espérer. Vous la voulez pourquoi ?
OIAX : Ton frère a enlevé Hélène.
HECTOR: Elle était consentante, à ce que l'on m'a dit.
OIAX : Une Grecque fait ce qu'elle veut. Elle n'a pas à te demander la permission. C'est un cas de guerre.
HECTOR : Nous pouvons vous offrir des excuses.
OIAX : Les Troyens n'offrent pas d'excuses: Nous ne partirons d'ici qu'avec votre déclaration de guerre.
HECTOR : Déclarez-la vous-mêmes.
OIAX : Parfaitement, nous la déclarerons, et dès ce soir.
HECTOR : Vous mentez. Vous ne la déclarerez pas. Aucune île de l'archipel ne vous suivra si nous ne sommes pas les responsables ... Nous ne le serons pas.
OIAX : Tu ne la déclareras pas, toi, personnellement, si je te déclare que tu es un lâche ?
HECTOR : C'est un genre de déclaration que j'accepte.
OIAX : Je n'ai jamais vu manquer à ce point de réflexe militaire !... Si je te dis ce que la Grèce entière pense de Troie, que Troie est le vice, la bêtise ?...
HECTOR : Troie est l'entêtement. Vous n'aurez pas la guerre.
OIAX : Si je crache sur elle ?
HECTOR : Crachez.
OIAX : Si je te frappe, toi son prince ?
HECTOR : Essayez.
OIAX : Si je frappe en plein visage le symbole de sa vanité et de son faux honneur ?
HECTOR : Frappez...
OIAX, le giflant : Voilà... Si madame est ta femme, madame peut être fière.
HECTOR : Je la connais... Elle est fière. »

Nance - - - ans - 26 janvier 2010


Fatalité 8 étoiles

L'enlèvement d'Hélène par Pâris est un casus belli pour les grecs. Hector, le frère de Pâris, revenant de la guerre et connaissant l'absurdité et l'horreur de celle-ci veut à tout prix éviter un nouveau conflit.

Seulement, beaucoup parmi les troyens trouvent une certaine noblesse à la guerre et ce parmi toutes les couches de la population, forcément on est vivant, on se sent invincible, comment pourrait-on être lâche au point de refuser l'affrontement ?

Comment interpréter la volonté d'Hector d'éviter la guerre allant jusqu'à se faire humilier ?

En sachant que cette pièce fut écrite en 1935, comment ne pas faire le parallèle avec ce qui se passera 3 ans plus tard avec les accords de Munich et la célèbre phrase de Churchill : " Vous avez choisi le déshonneur pour éviter la guerre ; vous aurez la guerre avec le déshonneur ". Bien sur , La volonté d'Hector, elle, n'est pas de la lâcheté mais que peut la volonté de quelques personnes face à la marche de l'Histoire ?

Une pièce éminemment moderne.

Soili - - 51 ans - 19 novembre 2006


Lettré et vivant 10 étoiles

Les personneages grouillent de manière quasi-réaliste et s'expriment par un langage fort contemporain, qui rend la pièce riche en anecdotes et pleine d'ironie et d'humour. Elle permet une critique vive de la guerre, qui a toujours des motifs assez vils. Probablement Giraudoux a-t-il eu en tête celle de 14-18 dont il a été le contemporain.
De plus, la fragilité du pouvoir et l'instabilité des peuples est peut-être un appel pour davantage de stabilité politique, quand, à l'heure où il écrit, le régime qu'il a sous les yeux fait valser les équipes dirigeantes, le plus souvent pour des broutilles.
Cette pièce est très moderne, profonde sur le fond, tout en étant légère dans le ton employé.
Le détour par l'Etranger et l'Antiquité est, au passage, décidément un procédé classique des auteurs de théâtre;

Veneziano - Paris - 46 ans - 26 mai 2005