Est-ce que tu m'aimes encore ?
de Rainer Maria Rilke, Marina Tsvétaïeva

critiqué par Sahkti, le 13 février 2008
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Amour épistolaire
"Cher Rainer, c'est ici que je vis. Est-ce que tu m'aimes encore? "Marina Tsvetaeva à Rainer Maria Rilke, 7 novembre 1926)

En 1925, Marina Tsvetaeva et Boris Pasternak entretiennent une relation épistolaire sentimentale. A la même période, Leonid Ossipovitch, le père de Boris, parle de son fils à Rainer Maria Rilke, vénéré par Pasternak. Le poète répond de jolie manière et la nouvelle fait un tel effet sur Boris Pasternak qu'il ne peut s'empêcher, non seulement d'en parler à Marina, mais également de parler de Marina à Rilke, en lui demandant de lui envoyer directement un recueil des Elégies de Duino. Ce sera le début d'une fin et d'un commencement. Fin d'une relation entre Marina et Boris (quoique, ça ira et ça reviendra...) et début d'une passion entre Tsvetaeva et Rilke. Passion épistolaire foudroyante (les deux aimés ne se rencontreront pas) qu'il nous est donné à lire ici dans cette édition de la petite Bibliothèque Payot, joliement préfacée et traduite par Bernard Pauttrat, qui dote l'ensemble d'un intéressant appareil critique.

L'écriture amoureuse des deux poètes est élégante, raffinée et cultivée. A travers ces lignes si travaillées, presque maniérées dans certaines missives, se reflète un amour un peu fou, aux couleurs de l'adolescence, en particulier chez Marina Tsvetaeva, femme terriblement humaine et juvénile. Sa correspondance avec Anna Teskova témoignait de cette vitalité, celle-ci ne déroge pas à cette règle d'une femme vivant continuellement dans l'émotion, de quelque nature que ce soit.
Coup de coeur pour ces lignes, pour cette femme une fois de plus et déception bien sûr, face à cet amour qui prendra fin par la force des choses, avec le décès de Rilke que Marina apprendra le coeur brisant, attendant fébrilement une réponse à une dernière carte postale qui jamais ne l'obtiendra. Une dernière lettre à son amour, posthume, renforce le sentiment de la détresse qui s'est emparée d'elle mais témoigne également de la formidable énergie qui habite cette dame de lettres. Magnifique!

"Nous rencontrer ici, nous n'y avons jamais cru ni l'un ni l'autre; comment être d'ici, n'est-ce pas? Tu es parti devant et tu fais de l'ordre, pas dans la chambre, pas dans la maison, dans le paysage, pour bien me recevoir.
Je t'embrasse sur la bouche? la tempe? le front? Plutôt sur la bouche, comme pour un vrai vivant (car tu n'es pas mort)"
(Lettre de Marina Tsvetaeva à Rainer Maria Rilke, le 31 décembre 1926, soit quelques heures après la mort du poète)