De gré de force
de Rossano Rosi

critiqué par Sahkti, le 21 janvier 2008
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Vie rétrécie
"De gré de force" tourne essentiellement autour d'un moment, assez court d'ailleurs. Le protagoniste central, Agapet Adulé (ce nom m'a fait sourire, il a un petit côté extraordinaire), se livre à une réflexion totalement parano autour de laquelle Rossano Rosi axe son récit. Il suffit d'un message non écouté sur un répondeur et d'une lettre non adressée et non ouverte pour que Adulé échafaude toutes sortes d'hypothèses et escalade les échelons des complots les plus fous. Il faut dire que l'homme vit sa vie comme du papier à musique, sans fausse note, alors dès que quelque chose sort de l'ordinaire, même l'élément le plus anodin, cela vire au cauchemar.
Rossano Rosi exploite tout en subtilité ce moment d'une vie pathétique, limitée à quelques fréquentations familiales proches et un travail guère passionnant. Il y a bien Victoire, la compagne partie un an plus tôt, sorte d'opposé de Agapet Adulé, qui revient en filigrane à travers les aller-retours effectués par la mémoire d'Adulé, mais elle n'est qu'un moyen utilisé par le héros. Car la mémoire va jouer ici un rôle important, montrant à quel point cet homme peut vivre sa vie à travers des extrapolations sur autrui et comment il construit les souvenirs d'un passé en se basant sur les autres. Tout cela est assez complexe, il faut le dire, et le risque existe de s'emmêler les pinceaux, d'autant plus que Rosi effectue un véritable travail de recherche structurale et littéraire qui vient corser le tout. Il s'en sort bien, très bien même, grâce notamment à un fil conducteur bien établi et une mise en cadres efficace qui permet à l'auteur de disposer ses phrases, riches, au gré d'une structure porteuse. Contenu et forme se complètement parfaitement, il ne s'agit pas simplement de raconter une histoire, il faut aussi inventer les fils qui vont la tisser.
J'ai bien aimé ce roman, pour sa complexité, pour son approche intéressante du personnage central, pour sa construction et la manière qu'a l'auteur de promener son lecteur dans les méandres de la pensée, sans que ça soit lourd ou ennuyeux, jamais.