La bonne de Isabel Marie

La bonne de Isabel Marie

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Sahkti, le 10 décembre 2007 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans)
La note : 3 étoiles
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Suicide de l'auteur et de son récit

Voici un récit qui me laisse sur ma faim. L'idée est originale, le corps du récit également mais dans le dernier tiers, on s'enlise, ça traîne en longueur, en processus complexes de l'esprit et tout finit par s'embrouiller.

L'histoire est celle-ci : Sarah est une jeune fille fraîchement diplômée de philosophie qui n'a pas envie d'enseigner, ne sait trop quoi faire mais doit absolument trouver un logement (et donc un travail). Ayant des idées bien arrêtés sur la vie et surtout sur l'espèce humaine, Sarah décide de devenir bonne à tout faire. Mais pas à n'importe quel prix ! Elle veut de bons patrons très discrets, un appartement grand et bien situé, un travail dur qui lui permettra de ne pas avoir à s'impliquer dans la vie extérieure, bref l'annonce idéale impossible à dénicher. Mais si ! Elle la dégote dans un journal, se présente immédiatement et décroche le job.
Ses patrons, Bernard et Laura Régnier sont très étranges. Elle, 25 ans, plus que belle, a la phobie de son corps qui représente à ses yeux l'impureté suprême. De bains interminables en mains constamment gantées, de changements incessants de tenues vestimentaires à une absence quasi complète de nourriture ingurgitée, Laura est silencieuse, évanescente, elle confie littéralement son appartement (puis ce sera au tour de sa vie) à Sarah. Bernard, surnommé B, est un homme d'affaires très pris, qui rentre tard, aime que tout soit en ordre et ne supporte aucun grain de sable dans le mécanisme bien huilé de sa vie. Autant dire qu'avec un minimum d'efforts, Sarah creuse très vite son trou dans cette étrange demeure et devient indispensable. Discrète, attentionnée, efficace, elle devient le personnage central non seulement du récit mais aussi des Régnier. Laura se confie peu à peu à elle, lui parlant de ses difficultés de vie et de son dégoût du sexe avec Bernard. Sarah arrange tout ça en devenant la maîtresse avide de galipettes du mari, qui du coup ne touche plus sa femme, qui s'en trouve beaucoup mieux et reprend goût à la vie.

Etrange trio d'êtres perturbés qui deviennent rapidement indissociables les uns des autres. Progressivement la tendance s'inverse, c'est Laura qui fait le ménage dans sa propre maison, pour s'occuper, parce que ça l'amuse et lui donne l'impression d'être vivante. De son côté, Bernard passe ses nuits avec Sarah, qui enfile les jolis vêtements de sa patronne, se maquille, passe son temps à lire et à profiter de la vie. Ce n'est pas pour autant qu'elle deviendra heureuse. Les tourments qui l'obsédaient sont toujours présents, ils se font même grandissants, ses repères bouleversés lui font perdre pied et sombrer peu à peu dans des monologues intérieurs proches de la folie, toute douce fût-elle.

Je ne vous raconte pas la fin mais sachez que celle-ci est assez plate, attendue. Jusqu'au bout, j'ai espéré un changement, me disant que non, décidément, ça serait trop facile.
Et pourtant, Isabel Marie a complètement délaissé son roman dans les dernières pages. Etonnant alors que le reste est bien emballé, précis, surprenant.
Cela m'a interpellée, je me suis renseignée sur l'auteur et j'ai alors découvert ce qui pourrait être un début d'explication. Cette Laura du récit ressemble beaucoup au parcours intérieur d'Isabel Marie, une femme troublée et instable, aux obsessions irrationnelles, victime de problèmes familiaux (née dans une prison, battue par ses parents...), de la pendaison de son père lorsqu'elle était jeune, d'une vie extérieure qui lui fait peur, d'une place qu'elle n'arrive pas à trouver.
Isabel Marie se suicidera très peu de temps après la sortie de ce récit (elle a 54 ans). Information qui me fit alors considérer son texte avec un regard quelque peu modifié. Je comprenai dès lors que ce qui lui importait le plus était de se livrer à travers ses personnages et que la fin était inutile, elle sentait sans doute déjà qu'elle n'arriverait pas à se débarrasser de ses troubles compulsifs et de ses tourments. Il y avait un besoin de les coucher sur papier, un testament mental, la décision fatale étant peut-être déjà prise...

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