Gil Blas de Santillane
de Alain-René Lesage

critiqué par Matthias1992, le 3 septembre 2007
( - 32 ans)


La note:  étoiles
Les aventures de Gil Blas
Même si l'action entière du livre se passe en Espagne, on remarque clairement que Lesage stigmatise et dénonce certains vices et certains revers des milieux sociaux français de son époque (savants fanfarons, comédiens, cour...). A travers les expériences de son héros nommé Gil Blas de Santillane et en situant ces dites expériences dans des villes espagnoles comme Séville, Grenade ou Madrid, il installe le doute. Les lecteurs se demandent si l'objectif de l'auteur est de critiquer la société espagnole ou la société française.

C'était un moyen ingénieux pour dévoiler ses idées politiques, économiques et culturelles (Lesage était ennemi de Voltaire et notamment des Lumières) et éviter la censure, sévère autrefois.

Il s’agit donc d'une critique de société et de moeurs, mais également d'une ou même de plusieurs histoires de vie (celle de Gil Blas ainsi que celle de plusieurs personnages que le héros rencontre sur son itinéraire tels que Dona Mencia de Mesquera et Don Raphaël).

Le tout peut paraître dépourvu de beaucoup de maîtrise, mais malgré quelques erreurs narratives (à la fin du roman Gil Blas serait octogénaire et aurait eu encore deux enfants), c'est un style agréable, parfois léger, parfois grave qui nous emmène dans le monde de l'ascension politique, du sentimentalisme et de la culture de la première moitié du dix-huitième siècle et nous parle de mille sentiments et de mille attitudes que peut avoir, adopter ou affecter d'avoir l'être humain, certes non de façon concise, mais de façon subtile et drôle à la fois.

L'ensemble pourrait être qualifié de formateur. L'on remarquera qu'au niveau des sentiments et des passions, le livre est vraiment d'actualité.

La préface d'Étiemble est de qualité et les notices se révèlent très utiles.
Picaro à la française 7 étoiles

Gil Blas ou le picaro à la française. En effet, le héros de Le Sage doit beaucoup à son modèle espagnol. D’ailleurs l’auteur n’était pas que romancier mais également éditeur, ou plutôt libraire comme on disait au XVIIIème. Il publia Les Nouvelles aventures admirables de Don Quichotte de la Manche. On connaît pires sources d’inspiration…
Mais Gil Blas, jeune homme sans fortune, diffère de son cousin espagnol. Ce dernier reste un marginal alors que Gil Blas est un parvenu. Il arrive à s’intégrer socialement et moralement. A la fin du roman, devenu riche, il épouse la fille d’un noble.
Autre différence avec le modèle espagnol, Gil Blas acquiert au fur et à mesure du roman une épaisseur psychologique qui fait défaut au picaro espagnol. Ses aventures marquent les étapes successives de sa vie, de son expérience, du développement de sa personnalité. Il est intéressant de remarquer que Gil Blas n’est jamais décrit au long des 700 pages du roman. Il ne s’agit pas d’une négligence ni d’une paresse mais d’une volonté délibérée de faire grandir un personnage qui n’a, au départ, ni les qualités ni les défauts de son âge, 17 ans, qui pourraient l’individualiser. Tout au long du roman, il développe une intelligence particulière qu’il voit comme le développement suprême de l’intelligence humaine : la capacité à percer les mobiles d’autrui et à connaître ses propres possibilités. Son apprentissage ne prend fin qu’à la dernière page du roman.
Lesage profite de son long roman pour critiquer la société de son temps tout en ayant la prudence, comme son héros, de placer son histoire en-dehors du royaume de France. Le docteur Sangrado est un exemples du type du médecin caricaturé depuis des lustres pour son incapacité à guérir. Son nom s’accorde, à la manière du docteur Purgon chez Molière, à son remède favori : la saignée. Mais lui, en plus d’être un incapable reconnu pourtant « comme un Hippocrate », en fait le fondement de sa médecin. Le résultat est inévitablement la mort du patient, au grand désarroi des notaires privés trop rapidement d’un travail de rédaction d’un testament par l’efficacité mortelle du traitement !
Récit au passé simple en majorité, ce qui peut décontenancer au début, ce roman de Le Sage, parfois fastidieux, fait une sorte de trait d’union entre le XVIIIème entièrement tourné vers le théâtre et la philosophie, et le XIXème, siècle du roman.

Numanuma - Tours - 50 ans - 10 avril 2020