La France de Vichy
de Robert Owen Paxton

critiqué par Ulrich, le 15 août 2007
(avignon - 49 ans)


La note:  étoiles
« si cela se reproduit, il nous faudra ne pas obéir »
Ce livre est une référence ; fait référence. Robert Paxton est le premier historien, pour faire court, à avoir montré l’excès de zèle du gouvernement de Vichy dans la collaboration. Balayé les thèses de la contrainte, du non choix. Il y a avait certes un poids très fort de l’occupant mais dans bien des domaines, Vichy est allé plus loin. Voilà pour la thèse s’ensuit la démonstration : elle est implacable presque parfaite. Tout est balayé, décortiqué, analysé. Les comparaisons avec les autres pays pleinement occupés (Hollande, Belgique notamment, une partie de la Russie, dans une mesure différente la Suède ) montre avec éloquence cet excès de zèle. Effrayant d’une réalité si difficilement compatible avec la conscience de ce qu’est la nation, la nation française. A la lecture de ce livre, on comprend encore un peu mieux la polémique, la difficulté de reconnaître que Vichy a été une faute. F Mitterrand n’avait pu le faire, peut être parce que son propre destin résumait à lui seul la contradiction permanente de ces quatre années de Vichy. J Chirac l’a reconnu. Sans doute un contexte moins passionné mais voilà bien, avec l’armée de métier, les seuls points positifs que je reconnais aux 12 années de sa présidence. Maintenant N Sarkozy lui s’interroge sur le devoir de repentance, appliqué à la colonisation mais on peut sans problèmes l’appliquer au régime de Vichy. On le voit bien, on touche à la définition même de ce qu’a été, de ce qu’est la France. Qu’est ce qui constitue notre nation ? Son peuple, ses valeurs mais aussi forcément son histoire. Passionnante et éternelle question. Ce livre de Paxton est donc un formidable « ouvreur d’yeux ». A lire absolument et ce d’autant plus que son écriture coule et sa construction limpide.
Après je m’interroge toujours, pour les non historiens, sur ce qui reste réellement de l’abondance de contexte que nous offre ce genre d’ouvrage de référence. J’avais connu la même chose avec le livre d’Hugues Thomas sur la Guerre d’Espagne. Là aussi la bible sur le sujet mais pour un non historien que reste – il après de tant de précisions ? Cette avalanche de contexte nous permet de prendre l’exacte mesure du moment historique mais elle atténue un peu notre capacité à retenir. Trop de contexte noie, peut-être, la mémoire du non historien ?
Moi en tous les cas c’est sûr. Après chaque livre vous fait découvrir petit à petit les lois de l’histoire ; petit à petit notre esprit se forme aux exigences de la science historique. Lent apprentissage du non initié.

Enfin je conclurai par une colère sur sa conclusion, sa presque dernière phrase où il écrit « L’auteur et les lecteurs de cet ouvrage auraient peut-être tentés d’en faire autrement » (c'est-à-dire de ne pas obéir, de ne pas continuer leur vie comme si de rien n’était, de résister). Alors que tout son ouvrage est mesuré, plein de finesses, de démonstration habile et intelligente, il se lance dans une conclusion hâtive. Le « Moi j’aurais été résistant » alors pourquoi tout le monde ne l’a pas été ? Attention, je n’excuse rien. Je reconnais aussi l’aveuglement volontaire des français mais jamais je ne lance une telle affirmation. Nul ne sait ce qu’il aurait fait sauf ceux qu’ils l’ont fait, qui ont vécu cette terrible période. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut avoir vécu pour s’exprimer. En revanche, l’auto rétroaction me paraît facile, dangereuse et parfois pédante. Il n’en demeure pas moins, comme il l’écrit en dernière phrase « qu’il est parfois dans l’histoire d’un pays un moment cruel où pour donner ce qui donne son vrai sens à la nation, on ne peut pas ne pas désobéir au gouvernement ». Là, je suis d’accord mais regardons l’histoire en face : les français ont en très grande majorité choisi d’obéir. Rien ne nous autorise donc à dire qu’on aurait naturellement fait autrement ; en revanche tout nous autorise à condamner, regretter, déplorer, reconnaître la faute de la France. Et tout nous autorise et doit nous pousser à dire « si cela se reproduit, il nous faudra ne pas obéir ».
Analyse historique d'une période douloureuse 9 étoiles

Voilà l'ouvrage-référence sur cette période douleureuse, scientifique, qui provient d'un Universitaire, objective : il fallait un Etranger, un Américain, pour nous "libérer" du poids psychologique que représentait en 1974 - ce qui est toujours le cas - de la réouverture du sarcophage maléfique de cette parenthèse autoritaire.
Il ne s'agit donc nullement ici d'une apologie, mais d'une analyse systémique : comment un tel régime a-t-il pu être hissé après la débâcle ? Le critère du bien-être et la peur d'une déchéance encore plus grande expliquent-ils à eux seuls l'adhésion massive à une politique de collaboration dont l'Allemagne n'était même pas réellement demandeuse ? Etait-ce perçu comme un compromis face à une occupation et donc une disparition d'honneur totales ?
L'épuration à la Libération a-t-elle été sytématique ?

Cet ouvrage répond à ces interrogations ; il est étonnant, tant par sa rigueur d'analyse et de détails que par son caractère abordable. Il se lit très facilement.

Veneziano - Paris - 46 ans - 30 octobre 2008