Triksta
de Nik Cohn

critiqué par Numanuma, le 4 août 2007
(Tours - 50 ans)


La note:  étoiles
Flow amère
Nik Cohn n’est pas le premier venu. C’est lui qui a écrit la nouvelle qui a inspiré les scénaristes du film La Fièvre du samedi soir. On peut penser ce que l’on veut du film mais le fait est que cette nouvelle est un portrait saisissant de l’époque et l’on retrouve dans ce nouvel ouvrage la capacité de l’auteur à dresser le panorama d’un lieu, d’un temps avec une acuité impressionnante.
Le sujet traité ici est le rap, plus particulièrement la bounce, un sous-genre dont le thème principal est le sexe, « ce bounce au rythme frénétique qui fait danser jusqu'aux petites heures du matin » Nous sommes donc loin du rap à vocation politique ou sociale ; c’est du Marc Dorcel avec des mots. En étant sincère, le rap, je m’en tape joyeusement, ce n’est pas mon type de musique même s’il m’arrive d’apprécier parfois, ça ne me touche pas. Pourtant, j’aime savoir, apprendre, connaître et puis, connaissant déjà l’auteur, je suis passé au-dessus de mes préjugés et j’ai bien fait.
Nik Cohn a beaucoup écrit sur le rock car il a beaucoup aimé le rock. Et il en est revenu. Le rap lui est apparut comme la nouvelle Mecque de la musique, LE truc nouveau, le débouché normal de la musique noire.
Or, nous sommes en présence d’un conte de la désillusion. L’action se déroule à la Nouvelle Orléans avant l’ouragan Katrina. L’auteur est un bourlingueur lucide qui connaît ses limites et qui les posent dès le début du livre. Il est un Blanc dans un milieu essentiellement noir :
" Pendant quelque temps, j'ai été cette figure ridicule : le Blanc entiché de tout ce qui était noir. Je ne me suis jamais lancé dans les poignées de main soul, je n'ai jamais porté de tunique africaine, mais je désirais à coup sûr être bien vu par les frères et les soeurs. "
Le récit est construit comme une pyramide : on monte pendant la première partie du livre pour en atteindre un sommet qu’il faudra bien redescendre, sommet qui est en quelque sorte la mort artistique. Les illusions de l’auteur sur son sujet, sur son aventure au sein de cette communauté du rap, sur son statut, s’envolent pratiquement page par page. Le récit étant rétrospectif, on sent dès le départ que les dés sont pipés ou, du moins, déjà jetés puisqu’il débute par la mort d’un rappeur célèbre à la Nouvelle Orléans, Soulja Slim, un parfait nom de mac probablement inspiré de légendaire Iceberg Slim, souteneur Black auteur de trois récits terrifiants (Pimp, Mama Black Widow et Trick baby) que vous trouverez dans la fantastique Bibliothèque de l’Olivier, la même maison d’édition que le présent ouvrage.
Même si Katrina n’a pas encore remué les fondations de la ville, on sent de manière diffuse que quelque-chose de la magie de cette ville, centre nerveux de tellement de romans, inspiration de tant d’auteurs, a déjà disparu. A drogue, l’alcool et le sexe ont gangrené les esprits même les plus créatifs. Au point le plus haut de son récit, Nik pense avoir trouvé son poulain, un rappeur qui sort de l’ordinaire, un talent prometteur qui semble taillé pour la gloire. Il n’est fait que pour la gloriole et les filles faciles, pour l’effet pervers du rêve américain.
Le récit est aussi une sorte de galerie de portraits de personnes plus ou moins attachantes, plus ou moins talentueuses, plus ou moins légendaires, balises d’un voyage aux frontières du rap le plus fantasmé. Car, la réalité caché derrière, c’est un business encore plus impitoyable que le business qui a saccagé le rock car le rap n’a pas eu d’enfance ni d’adolescence : né adulte, le rap est vite devenu l’exutoire des plus médiocres, de ceux qui sont suffisamment roublards, ou pitoyables, pour ne chercher que les dollars.
Finalement, Nik Cohn nous convie au chevet d’un genre à l’agonie, peut-être même que la bounce était mort-née… mais il fallait y croire assez fort pour en faire une illusion parfaite des rêves de gloires de tous les gamins du ghettos avides de grosses limousines, de bitches en maillots de bain deux pièces en lamé or aux seins refaits et de piscines arrivant directement dans le salon.