Madame Proust de Évelyne Bloch-Dano

Madame Proust de Évelyne Bloch-Dano

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Cuné, le 2 août 2007 (Inscrite le 16 février 2004, 56 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 183ème position).
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Vergiss mein nicht

C’est une très belle biographie que signe là Evelyne Bloch-Dano, qui éclaire bien des aspects de l’œuvre à venir de Marcel Proust, mais c’est aussi avant tout le portrait d’une relation fusionnelle entre une mère et son fils. A ce titre, que l’on apprécie, qu’on lise ou pas Proust n’augure pas de l’intérêt et même, du plaisir que l’on prend à parcourir ces lignes.
Et c’est bien là vraiment qu’est l’admirable, à un travail copieux et conséquent de biographe s’allie une plume romanesque, qui dégage l’universel du cas particulier.

Tout commence par le mariage de Jeanne Weil et d’Adrien Proust, l’occasion de remonter un peu leur arbre généalogique, et de constater, déjà, la relation fusionnelle entre Jeanne et Adèle, sa mère, et de se voir très bien expliquée l’union voulue et finalement heureuse, d’une juive et d’un catholique, tous deux athées.

Puis nait Marcel, le premier enfant, naissance houleuse, on a craint le pire et, de ce pire évité, le petit Marcel tirera une prébende qui sera aussi une charge.
Enfant fragile, difficile, émotif (atteint de « nervosisme » comme on disait à l’époque), Marcel est aussi un enfant comme tous les autres.
Vous avouerais-je mon ravissement idiot devant son orthographe, à sept et demi ?
« j’ai pleuré pendant un cardeur apré cela j’était en sanglot »
Ou comme je comprends, lorsque Jeanne part pour deux jours avec Robert, le petit frère, mais sans emmener Marcel « Celui-ci envisagea une courte seconde de mettre le feu à la maison pour retarder le départ. Il embrassa sa mère autant qu’il put, c’est-à-dire moins qu’il ne l’aurait voulu. »

Mais Marcel grandit, souffre de très violentes crises d’asthme, et afflige dans un premier temps son père en raison de son « onanisme ». Il tente bien de lui payer une prostituée, mais rien n’y fait. Marcel n’est pas, et ne sera jamais attiré par les femmes. S’ajoute à cela une vie hors de la norme, il dort le jour, sort la nuit, ne travaille pas de manière assidue. Jeanne, qui l’aime autant sinon plus qu’elle-même, accepte tout dans un deuxième temps, mais de façon tacite. Il y avait une très grande liberté d’expression chez les Proust, mais certains sujets étaient tout simplement inabordables. Encore qu’adolescent, il se livrait beaucoup plus facilement, jusqu’à ce que plusieurs déconvenues l’amènent à déclarer, des années plus tard, à André Gide : « Vous pouvez tout raconter ; mais à condition de ne pas dire Je. »
Il ne dira plus Je.
Jeanne peut respirer.

La relation entre la mère et le fils, sans jamais se relâcher, subit des aléas :
« La vérité c’est que dès que je vais bien, la vie qui me fait aller bien t’exaspérant, tu démolis tout jusqu’à ce que j’aille de nouveau mal. » et de conclure : « Il est triste de ne jamais pouvoir avoir à la fois affection et santé. » Phrase écrite sous le coup de la colère – et d’une justesse dont il ne mesure sans doute pas toute la profondeur. D’autant plus cruelle pour une mère.

Mais la vie de Jeanne Proust ne se résumait pas à Marcel, c’était une femme active, cultivée, intelligente, qui avait choisi délibérément, et sans aucune aigreur, de se consacrer à sa vie d’épouse et de mère. Tous ces aspects sont très bien développés, nous la rendent infiniment attachante. Au point de ressentir une vraie émotion lorsqu’elle s’éteint, après avoir beaucoup souffert, le mardi 26 septembre 1905, à 56 ans.

Et la conclusion d’Evelyne Bloch-Dano est d’une justesse confondante, et si jolie…

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«Un noeud inextricable»

10 étoiles

Critique de Isis (Chaville, Inscrite le 7 novembre 2010, 79 ans) - 30 avril 2016

La première phrase de cette biographie de Jeanne Proust, née Weil, aussi passionnante qu’un roman et aussi érudite qu’un mémoire de thèse, annonce d’emblée son caractère très intimiste : «Chez les Weil, on dînait à 7 heures précises. Dès 7 heure moins dix, Nathé Weil écartait son journal pour sortir sa montre du gousset. A 7 heures moins deux, il se levait et l’on passait à table.»

Un postulat qui fait quelque peu écho à l’incipit célébrissime de «La Recherche» : «Longtemps, je me suis couché de bonne heure», le reflet de ces rites de la vie quotidienne et des horaires, intangibles à cette époque, des repas et du coucher.

Evelyne Bloch-Dano dépeint merveilleusement bien ce climat familial au sein duquel la gestation de l’œuvre magistrale de Marcel Proust s’est lentement développée. L’amour fusionnel entre cette mère à la fois «adorable et insupportable», selon les termes mêmes de l’auteur, et son petit Marcel est omniprésent ; son «pauvre Loup», comme Jeanne aimait l’appeler dans l’abondante correspondance qu’ils échangèrent et dont de nombreux extraits, aussi émouvants que pittoresques, émaillent ce livre.

Or, cette habitude épistolaire avait déjà été contractée par Jeanne avec sa propre mère, ce qu’E.B-D nomme joliment «le lien d’encre» entre mère et fille, puis entre mère et fils ; D’ailleurs, Jeanne et Adèle (la grand-mère de «La Recherche») étaient inséparables comme le seront Madame Proust et son fils aîné. Il y a là une transmission certaine d’une génération à l’autre, avec la reproduction des scénarios de vie, selon les principes de la psychogénéalogie ; les lois de l’hérédité sont encore renforcées ici par l’angoisse d’une mère qui a failli perdre son premier né, elle-même alimentée par les plaintes incessantes de cet enfant si fragile. «Leurs angoisses se nourrissent mutuellement formant un nœud inextricable. Il en joue, il en souffre», commente avec raison l’auteur ; et, plus loin : «C’est une fois de plus l’impossible séparation de la mère et du fils et les entrelacs de leurs sentiments aussi mêlés que les eaux de la lagune» en référence à ce voyage à Venise, et à deux, sur les traces de Ruskin, longuement décrit dans un chapitre ; en effet, Marcel Proust qui ne maîtrisait guère la langue de Shakespeare, traduisit ce Ruskin avec l’aide de Jeanne, en reprenant le plus souvent, la nuit, sous une forme plus littéraire, le mot à mot qu’elle avait concocté dans la journée ! Peut-on rêver meilleure collaboration ?

Impossible, dans ces conditions, de déterminer qui, de la mère ou du fils, est le plus responsable de cette interdépendance, certes fructueuse, mais néanmoins assez contraignante pour l’un comme pour l’autre. En tout cas, comme le dit très justement Evelyne Bloch-Dano, il faudra que Jeanne meure (d’une crise d’urémie, comme Adèle…) pour que Marcel s’autorise à «accoucher» de son principal chef d’œuvre. «Le petit Marcel était bien mort, mais il avait donné naissance à un écrivain» conclut-elle.

Cette biographie ne se limite pas à la peinture de ce cocon maternel ; elle brosse aussi un tableau très vivant de cette époque, sur le plan tant sociologique que politique, avec un chapitre entier consacré à l’Affaire Dreyfus, la situation des juifs d’Alsace dont Jeanne est descendante et de nombreuses anecdotes concernant des personnages célèbres, tel Adolphe Crémieux, un grand oncle de Jeanne qui se rendit célèbre, entre autres, par un décret accordant la citoyenneté française à des juifs algériens ; ou encore Baruch Weil, l’arrière grand père de Marcel Proust, fabricant de porcelaine, dont certaines pièces sont, depuis lors, stockées au musée de la céramique de Sèvres.

Une mine d’informations constituée de 464 notes et références, de trois tableaux généalogiques, d’un index alphabétique des principaux personnages et de quelques photos vient compléter cet ouvrage, incontournable pour les amateurs de Proust et sûrement un excellent sésame pour les réfractaires...

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  Sujets Messages Utilisateur Dernier message
  Proust et sa mère 4 Saule 27 août 2007 @ 23:18

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