Conversation avec Bergman
de Olivier Assayas, Ingmar Bergman, Stig Björkman

critiqué par Jlc, le 30 juillet 2007
( - 80 ans)


La note:  étoiles
La lanterne magique s'est éteinte
Aujourd’hui, 30 juillet 2007, le monde s’est appauvri : un grand artiste est mort. Ingmar Bergman. Il est celui qui m’a donné les plus fortes émotions que j’ai ressenties au cinéma, de ses films découverts à mon adolescence à ses chefs d’œuvre de la fin de sa vie.
Pour prolonger l’illusion de ce magicien, on peut voir ou revoir ses films. On peut aussi lire ou relire ses souvenirs « Lanterna magica » ou cette « Conversation avec Bergman » qui date de 1990 et fut rééditée en poche, l’an dernier, après la sortie de son dernier film « Saraband ».

Il s’agit de trois entretiens que le cinéaste Olivier Assayas et le journaliste Stig Bjorkman eurent avec Ingmar Bergman du 14 au 16 mars 1990. Les auteurs, dans un avant-propos, définissent parfaitement leur interlocuteur en écrivant : « Bergman a tout mis dans ses films. Il y est tout entier et il y est nu. A la fois illusionniste et premier dénonciateur de cette illusion. A la fois vulnérable et inaccessible, humain et insaisissable ».
S’il est tout entier dans ses films, qu’aller chercher dans cette conversation ? Peut-être une intimité, comme le dit encore Assayas, ces moments où l’artiste en dit un tout petit peu plus sur lui-même qu’il ne le pense ou le veut.

Il y raconte avec humour ses débuts, parle d’abord de son travail au théâtre, qui restera le fil rouge de sa vie, de son admiration pour Strindberg, de sa venue à l’écriture avant d’être un « obsédé de cinéma » puis un remarquable utilisateur de la vidéo pour la télévision. Car c’est un homme extrêmement moderne qui veut expérimenter tous les modes d’expression. . Et lui qui se targue d’être l’un des rares cinéastes à aimer regarder les films des autres (il avait oublié Scorsese !) d’évoquer ceux qui l’ont influencé, le cinéma muet « sur le point de devenir un art », l’importance de quelques metteurs en scène, dont le français Julien Duvivier, si décrié par la « nouvelle vague », sa tendresse pour ses actrices, l’exceptionnelle Harriet Anderson dont « la caméra tombe amoureuse » ou la lumineuse Liv Ullman qui fut sa femme et qu’il retrouvera pour son ultime chef d’œuvre « Saraband ».

Ces entretiens professionnels mais à bâtons rompus comme le voulait Bergman ont le charme des conversations intimes. Ils esquissent la souffrance qui fut la sienne quand il dut, pour des raisons fiscales abracadabrantes s’exiler en Allemagne. Il y parle de ses films qu’il aime encore, de son attention à la souffrance des autres (la perte du paradis qui reviendra souvent comme un thème clé), de sa vision poétique, esthétique voire, en filigrane, politique ou éthique. Il explique sa remise en cause de tout ce qu’il a fait avant les années soixante.

Plus intimement, il raconte comment il a retrouvé ses parents à la fin de leur vie avant qu’il ne soit trop tard. « Peut-être le savez vous, c’est un bienfait dans la vie de pouvoir devenir ami avec ses parents. Parce que s’ils disparaissaient avant que vous ayez compris qu’ils sont des êtres humains, avant que vous puissiez vous lier d’amitié avec eux, ils resteront des personnages toute votre vie. Et dans votre existence, il demeurera quelque chose de non résolu ». Ceci me rappelle les dernières superbes images de « Saraband » quand Liv Ullman dit : « J’ai pensé au fait mystérieux que pour la première fois de notre vie ensemble, je comprenais, je sentais que je touchais ma fille, mon enfant. »

Salut l’artiste et merci.