Proust vous écrira
de Marie-Odile Beauvais

critiqué par Cuné, le 24 juillet 2007
( - 56 ans)


La note:  étoiles
Cri d'amour d'une proustiférée
Elle se proposait d’écrire vingt pages au sujet de la correspondance de Proust pour la Revue littéraire de Léo Scheer, elle en a écrit deux cents, et encore, elle s’est imposé un choix drastique tant tout ce qu’elle avait envie de citer se bousculait à la plume de Marie-Odile Beauvais.
Elle dégage ainsi soixante-cinq modèles pratiques, des exemples puisés dans La Correspondance (vingt-et-un tomes), utiles aux plus démunis d’entre nous. Ils nous permettront, confrontés à ces circonstances qui nous réjouissent, nous attristent ou nous désarment, de réagir avec grâce et drôlerie en suivant les réponses dictées par la plus précise des intelligences, la plus secourable des sensibilités.

On y trouve, entre mille autres choses, une ironie malicieuse :
39 bis) Décidément ce Polype écrit à tort et à travers. On ne pourra pas vous reprocher de ne pas l’avoir dénoncé :
« Je lis souvent Polybe en pensant à vous. L’autre jour il citait (naturellement !) une parole célèbre, je crois bien « Etre ou n’être pas » et il ajoutait « avait coutume de dire Shakespeare ». Je trouve cela absurde. Shakespeare n’avait pas du tout coutume de dire cela. Il l’a dit une fois. Et « une fois n’est pas coutume ».
(A madame Straus, le 12 janvier 1917.)

Mais l’éditeur de Marie-Odile Beauvais trouve frustrant que l’angle autobiographique paraisse se fermer à peine entrouvert : qu’à cela ne tienne, elle nous en fait part, puis nous parle d’elle, de ses enfants, de ce concours qu’elle a gagné. Elle est mordante et espiègle, énervante mais si ludique, et plaisante.
Et puis elle parle si bien de Proust. Ecoutez-la :

« Qu’est-ce que parler le Proust couramment ? Tâcher de suivre ses pensées, sa mémoire prodigieuse, pleine de tant de vers, de citations qu’il déforme pour les adapter à ses desseins. Savoir dire les choses les plus violentes avec le plus de douceur. Il faut pouvoir traduire, savoir quand il dit « ne venez pas » qu’il faut parfois venir, savoir que s’il vous dit « je ne vous demande rien », il demande peut-être quelque chose, savoir que s’il vous demande quelque chose, c’est qu’il n’en a peut-être pas besoin, savoir aussi que la lucidité n’est pas que la capacité à se moquer de soi-même et qu’on la possède toujours moins qu’on ne l’imagine : « mon indifférence (relative) à moi-même se manifeste encore en ceci que je ne retiens jamais rien des ridicules des autres, et emmagasine précieusement ce que j’ai observé des miens. » Riez avec lui, écoutez-le respirer, étouffer, tousser, se « fascher », enrager, s’exaspérer, parler, souffrir, vivre et surtout écrire. Vous entendrez battre son cœur. Vous l’écouterez reprendre son souffle. Laissez-le vous rendre meilleur : le pire, c’est que c’est possible. »

Moi, franchement, tant d’éloquence et d’amour me convainquent grandement.

(Et Enfin un bandeau intelligent qu’on a plaisir à conserver, avec reproduction d’une lettre manuscrite de Proust offerte à l’auteure.)