The Impossible David Lynch
de Todd McGowan

critiqué par Pendragon, le 27 juin 2007
(Liernu - 53 ans)


La note:  étoiles
The Marvellous David Lynch
En tant que grand fan depuis… et bien depuis toujours en fait, je lis régulièrement des ouvrages traitant du plus grand réalisateur de tous les temps, j’ai nommé David Lynch !

L’auteur présente son livre, non pas sur le réalisateur, mais bien sur les films eux-mêmes, chaque film est décortiqué, depuis Eraserhead jusqu’à Mulholland Drive et l’analyse qui en découle permet des comparaisons, des analogies et dégage surtout un fil conducteur qui semble mener le travail de Lynch.

Je ne vais pas revenir sur l’ensemble des films, mais bien sur l’idée développée par Todd McGowan qui mêle adroitement les théories de Lacan, de Freud et de Hegel pour démontrer la ligne de démarcation claire entre le désir et la « fantasy » -- le terme anglais est plus approprié que sa traduction « fantastique ».

En fait, on apprend à la lecture de ce livre que le désir, bien que fortement ancré dans la réalité est en fait la porte d’entrée vers l’imaginaire, vers l’imaginatif et de là vers la « fantasy » qui est en fait le monde irréel. Cela dit, le monde du désir est parfois et même très souvent, beaucoup plus irréel que le monde de la fantasy ! Monde de la fantasy qui n’est en fait qu’un monde idéalisé, représentation théâtrale de ce que nous, spectateurs, pensons de telle ou telle chose (village typique américain, vie hollywoodienne ou vie underground), représentation qui est en fait totalement fausse (fantastique) et qui, par ailleurs, est également une critique directe des films hollywoodiens dans ce qu’ils ont de plus pervers, à savoir le « faire croire ».

Et c’est là tout le talent de Lynch qui nous induit très rapidement en erreur en nous présentant, par exemple, dans Blue Velvet un monde idéal (au début du film), à savoir, une belle petite cité où les maisons typiquement américaines ont un beau petit jardin bien entretenu, avec des fleurs et des gens qui arrosent, où le soleil brille, où tout le monde se salue et où, manifestement, il fait bon vivre. Alors que c’est là que ce situe la fantasy, car il s’agit bien d’un monde irréel !!! Il en est par ailleurs de même dans The Straight Story où la petite ville d’Iowa que nous survolons, avec ses champs de blé et son cadre on ne peut plus idyllique, est en fait une fantasy sortie de nos rêves et de notre grand pouvoir d’idéalisation ! Ce n’est que par après, quand survient la bascule (dans Blue Velvet, la crise cardiaque du père, dans the Straight Story, la crise cardiaque du frère) que nous plongeons pour un temps dans le domaine du réel, qui lui, va déclencher un « désir » chez le « héros » du film. Désir de s’émanciper chez Jeffrey Beaumont (au travers d’une forte connotation sexuelle avec Dorothy Vallens jouant le pendant de son amie trop sage et au travers de la perversité maladive de Frank Booth, pendant de son père idéal – c’est-à-dire idéalisé par le spectateur dans le monde fantasy présenté au début). Désir de revoir son frère, de renouer un lien familial, de clore un cercle brisé pour Alvin Straight. Désir, qui à son tour, découlera vers un monde imaginatif, mais qui n’est plus du tout idyllique, puisqu’il engendrera aussi son lot de cauchemars qu’il nous faut vaincre pour atteindre la récompense. Dans Blue Velvet, Jeffrey aura fort à faire pour se dépêtrer de la perversité inhérente à Frank et Dorothy, la récompense étant le rétablissement de son père et l’amour de Sandy. Dans The Straight Story, la traversée de trois états par Alvin en tondeuse est une épreuve telle, qu’elle laisse peu de place à d’autres épreuves, si ce n’est que nous voyons plusieurs fois Alvin aux prises avec les souvenirs qui le hantent (la perte de sa femme et de quelques-uns de ses enfants, la déchirure de la séparation de ses petits-enfants, la seconde guerre mondiale et son lot d’horreurs et enfin et surtout, sa vieillesse, dont la pire chose est de se « souvenir de sa jeunesse »).

Wild at Heart est par ailleurs lui aussi un excellent exemple de cette « traversée du désert » que doivent subir les protagonistes car il est présenté, comme beaucoup d’autres, comme un road movie où Sailor et sa compagne Lula vont devoir passer par bien des épreuves (et affronter bien des personnages) avant d’enfin pouvoir vivre pleinement leur amour, personnification de leur désir unique.

Au travers de ces deux exemples, nous comprenons bien la nuance claire entre la fantasy qui est une idéalisation et un désir qui est un but en soi, mais qui nécessite la traversée d’épreuves.

Todd McGowan va plus loin encore et analyse la structure même des films de Lynch (au travers de ce qui précède) et met très clairement en exergue la balance qui existe entre le blanc et le noir ou entre le bien et le mal. Que ce soit de manière directe, comme dans Lost Highway ou de manière indirecte, comme dans Elephant Man, les protagonistes ont tous à des degrés divers une forte tendance à la schizophrénie. Dans Lost Highway, Fred Madison pousse sa schizophrénie jusqu’au changement d’apparence, tout en gardant des désirs pour une même femme (jouée par la même actrice, une fois blonde, une fois noire). D’ailleurs, dans ce film aussi, le monde du désir est très clairement identifié par les capacités sexuelles de Fred Madison (quand il est Peter) par rapport au monde réel où Fred est impuissant. Dans Elephant Man, la schizophrénie est présentée de manière symbolique entre le jour et la nuit. Jour, blanc, bonté, bien où John Merrick peut être une « personne normale » au travers de sa vie sociale grâce au docteur Treves et la nuit, noire, perversion, mal où il est à nouveau le « freak » qui est présenté aux badauds pour sa monstruosité. Mulholland Drive présente par ailleurs les mêmes caractéristiques de schizophrénie au travers du rêve (désir) de Diane qui vit tellement mal une séparation qu’elle s’invente un monde peuplé des mêmes personnages que dans la vie « réelle », mais en inversant tous leurs rôles, tant au point de vue de leur personnage, qu’au point de vue de leur caractère (untel arrogant, se fait systématiquement humilier, unetelle protectrice pour l’un devient protectrice pour une autre et surtout, untel amour perdu devient untel amour naissant). Remarquons également en passant qu’ici aussi les désirs sont les moteurs des protagonistes et que ces mêmes désirs les poussent en fait dans des mondes irréels, c’est-à-dire des mondes où, finalement, ils n’ont pas leur place. Désir de normalité pour John Merrick, désir de plénitude sexuelle pour Fred Madison, désir de recouvrir son amour perdu pour Betty Elms.

Dune est un film à part car il reste fortement lié à l’œuvre de Frank Herbert, quoi que là aussi des dichotomies soient visibles, et Twin Peaks mérite à lui seul un livre, je ne l’ai donc pas évoqué ci-dessus.

Ainsi, au travers de nouveau quadrant (désir // fantasy et bien // mal), nous sommes maintenant plus à même de comprendre les films de Lynch et sa vision dichotomique du monde. Bien sûr, le livre va plus loin (et je pourrais ajouter mes propres interprétations), d’ailleurs, je pourrais continuer à écrire sur Lynch pendant des heures, mais je me force à m’arrêter car… et bien… je n’ai pas envie que tout un chacun puisse comprendre Lynch… ! Désir ou Fantasy ? Bien ou Mal ? Bah, à vous de juger…