Au risque de se perdre
de Kathryn Hulme

critiqué par Antinea, le 29 avril 2007
(anefera@laposte.net - 45 ans)


La note:  étoiles
Prendre le risque de vivre
Gabrielle n’a pas vingt ans lorsqu’elle pousse la porte d’une communauté religieuse de Bruxelles dans le but de prendre le voile et de servir Dieu comme infirmière missionnaire. En tant que postulante, puis comme novice, elle apprend à se fondre parmi les silhouettes noires de l’Ordre, à marcher sans précipitations, à obéir sans réserve à sa supérieure et à la cloche qui sonne les offices, à ne parler que lorsqu’elle en a la permission. Pour façonner leur caractère et en effacer toute personnalité, les jeunes Sœurs se soumettent à la pauvreté et à la charité, à l’autocritique et à la punition selon la Régle de vie de l’Ordre, cette Sainte Règle qui leur fait parfois mendier la soupe au réfectoire et s’écorcher avec la discipline. Loin du « siècle », entre les quatre murs de la maison-mère, la jeune religieuse apprend à ne plus exister qu’en partie infime de l´Être que forment toutes les religieuses de sa congrégation de part le monde, simple instrument entièrement dévoué à Dieu et aux autres, dénué de pensée propre, voire de sentiments. Ce renoncement de soi, Gabrielle, devenue Sœur Luc, infirmière diplômée en médecine psychiatrique et tropicale, l’accepte dans le but de s’en aller soigner au Congo, pays lointain dont elle rêve, peut-être plus pour fuir son passé et soulager les malades que pour servir Dieu. Infirmière surdouée gagnant la confiance de tous et même du peuple congolais, Sœur Luc n’en mènera pas moins une lutte contre elle-même, une lutte entre l’infirmière et la Sœur qu’elle tente d’être, une lutte pour cette vie « contre-nature » qui la conduira du Congo à la Belgique occupée de la seconde guerre mondiale.
Katrhyn Hulme nous offre l’histoire romancée de cette infirmière flamande devenue Sœur avec qui elle a travaillé dans l’Afrique du Nord de l’après guerre. Elle décrit sa vie de religieuse et sa lutte pour se mouler à la Sainte Règle, pour mourir à soi-même, un mode de vie à mi-chemin entre l’abnégation et le suicide moral et à laquelle Sœur Luc ne pourra se soumettre totalement. Le texte est superbe, riche en vocabulaire et fluide, envoûtant comme ces descriptions du Congo et de son peuple, vu parfois si naïvement par la Sœur blanche mais toujours avec respect et admiration. La volonté d'évangélisation pourtant si associée aux missionaires n'est ici que très peu évoquée. Le courage de cette femme, son dévouement en tant qu’infirmière et son amour de l’Afrique font de ce roman un livre à redécouvrir absolument.