Le goût des femmes laides
de Richard Millet

critiqué par Printemps, le 17 avril 2007
( - 65 ans)


La note:  étoiles
beauté laideur amour sexe solitude
Le narrateur a été renié par sa mère qui lui découvre sa laideur. Persuadé qu'il ne saurait être aimé pour lui-même à cause de celle-ci, il nous conte son éducation sentimentale, du jeu dont il est la victime, orchestré par ses compagnons d'école jusqu'à sa montée sur Paris, où d'écrivain rêvé il devient journaliste politique, ce qui lui assure une certaine renommée, et où après avoir satisfait ses besoins avec des prostituées, il décide de se tourner vers les femmes laides, les seules qui soient capables de le comprendre lui et sa solitude. Il se refuse à connaître le bonheur, pour autant que celui-ci existe dans les relations 'amoureuses' et rompt les siennes en général au bout d'un à deux ans, ayant fait le tour de la personne laide qu'il découvre alors et valorise. Sa soeur, qui partage son goût pour la langue et la littérature, vit elle aussi en solitaire, par suite de sa laideur et par choix pour la beauté de langue à laquelle elle se consacre. Il applique à la lettre sa théorie amoureuse: "une relation purement physique, tendre, amicale, si l'on veut, mais dépourvue de sentimentalité et d'espoir de procréation ...""protégé autant qu'interdit par (sa) laideur, qui est une sorte de liberté surveillée dont (il) a trouvé à s'accommoder."" enclin à trouver l'existence incompatible avec l'amour, lequel ne peut faire que souffrir". Une vie caractérisée par "la défaite, l'absence ou l'impossibilité de l'amour" pour les deux protagonistes. Ce livre nous pose l'éternelle question de l'importance du regard de l'autre dans notre identité et le sens - s'il y en a un - à donner à l'existence et aux relations humaines
Comme un goût de vieux roman 6 étoiles

Quand il a 8 ans, la mère du narrateur lui apprend qu’il est laid, et il trouve du réconfort auprès de sa sœur, de dix ans son aînée, qui demeurera sa confidente pour le reste de sa vie. Parvenu à l’âge adulte, le narrateur se tourne vers les femmes laides et ne cherche pas, ne se permet pas l’amour, comme s’il lui était interdit du fait de sa laideur.

On comprend que l’auteur, pas beau mais loin d’être répugnant, a exagéré un de ses traits distinctifs pour en tirer un roman qu’on dirait daté du début du siècle dernier, par son ancrage dans la province française et la montée à Paris des deux protagonistes mais surtout par son écriture, et en cela réussi. Hormis la réflexion qu’il pose sur la beauté des visages et des corps au travers notamment certaines descriptions, l’auteur fait assaut de belles et longues phrases qui s’avèrent grevées de figures de style répétitives voire de tics d’écriture, tout ceci pour montrer qu’à défaut d’être beau, il écrit d’une façon distinguée. Mais est-ce cela « bien écrire » ? Au contraire, il me semble, il se réfugie dans une conception d’écriture qui fige son narrateur sur lui-même au lieu de l’ouvrir au monde, une conception bien française qui l’exonère d’une écriture qui embrasse le monde, se collète avec lui, sort d’un cadre appris, va vers le réel, au risque de perdre ses repères, ses codes d’écriture, au risque pour tout dire de faire laid, d’abandonner le beau.

L’auteur a l’honnêteté de le dire ici et là entre les lignes. Car n’est-ce pas cela le sujet caché de ce livre, et non la supposée laideur, avec laquelle son narrateur et par voie de conséquence lui-même trouve très bien son compte mais peut-être pas le lecteur, pas dupe de ce qui se joue réellement derrière un beau style affiché.

Kinbote - Jumet - 65 ans - 16 juillet 2010