Oubliez Adam Weinberger de Vincent Engel

Oubliez Adam Weinberger de Vincent Engel

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Persée, le 12 août 2001 (La Louvière, Inscrit le 29 juin 2001, 73 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 189ème position).
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Jamais de la vie !

Son homonyme mythique fut chassé du paradis et se retrouva, comme chacun sait, dans notre vallée de larmes. Adam Weinberger n'a pas précisément connu l'Eden avant d’être précipité en Enfer.
Pire encore, il y a survécu. Juif polonais, il a traversé l’holocauste. Mais il ne nous en touchera pas un mot. Ni à nous ni à personne.
Il nous parlera de l’avant : la vie d'un adolescent qui tente de faire le bonheur des autres et de trouver le sien, s'efforçant d'écarteler le carcan d'une Tradition qui ne le séduit guère. La vie d’un petit gars qui nous ressemble.
L'après sera décrit par le regard que les autres portent sur Adam Weinberger. Ils vous diront ce silence où il s’enferme avec ses morts et ceux qu’il croit vivants. Parce que ses mots à lui sont devenus parfaitement dérisoires pour décrire l'indicible, l’incommensurable horreur des camps. Seuls ses gestes peuvent encore le porter.
Il affronte le regard gêné de ses contemporains. Les générations qui le suivent oublieront, relègueront dans l’histoire ou oseront même nier la réalité d'un génocide apocalyptique qui n'aura pris que cinquante ans pour se rappeler à nous en enfantant ici et là de par le monde, les monstres que l’on sait. On presse Adam Weinberger de témoigner, pour exorciser ou pour que justice soit faite. Mais Adam Weinberger se tait.
Un roman doux-amer, limpide, grave et poignant. C'est sans doute ainsi qu'il faut commémorer la Shoah, à côté de laquelle le péché originel n'est que roupie de sansonnet. En ouvrant des fenêtres qui donnent sur un espace de grand silence.
Un gamin vous prend par la main. Il vous entraîne dans la clairière de ses rêves et chaque brindille que vous écrasez en marchant est une de ses illusions qui se brise. Puis c'est sa vie elle-même qui implose et vous vous retrouvez, les yeux bandés, dans le train fou de l’histoire. Enfin, il vous abandonne sur le quai, avec la sensation confuse d’avoir, de nuit, franchi des ponts suspendus sur des abîmes, traversé des tunnels conçus pour n'avoir point d'issue.
On se laisse tout d'abord emporter par un style enjoué. Rêve et lucidité de l'enfance. On y sent la vie qui frétille comme truite au torrent. On la voit se heurter aux barrages du sectarisme. On la devine généreuse, ouverte sur son petit monde. On assiste aux émois rougissants de l’adolescent. Puis, silence radio sur l’innommable. Vient l’adagio, du Malher : longue plainte silencieuse d'un ressuscité qui ne peut pas renaître.
A l’écoute de ces silences qui font la grande musique, on a un peu honte d'avoir éprouvé tant de plaisir à lire cette oeuvre qui vous laisse K.O. dans le cordes. Oublier Adam Weinberger ? Jamais de la vie ! Car ce n'est pas de la sympathie qu’on éprouve pour lui, non. C’est de la tendresse.

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Les éditions

  • Oubliez Adam Weinberger [Texte imprimé], roman Vincent Engel
    de Engel, Vincent
    Fayard
    ISBN : 9782213605166 ; 11,75 € ; 05/01/2000 ; 287 p. ; Broché
  • Oubliez Adam Weinberger [Texte imprimé], roman Vincent Engel
    de Engel, Vincent
    le Livre de poche / Le Livre de poche
    ISBN : 9782253108436 ; 6,10 € ; 09/06/2004 ; 316 p. ; Broché
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La pudeur de l'horreur

10 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 13 janvier 2005

Quelle gifle que ce sublime roman de Vincent Engel!
Le récit débute avec l'enfance d'Adam Weinberger, jeune juif vivant en Pologne au sein d'une famille ni heureuse ni malheureuse. La vie de tous les jours, avec les aléas de l'adolescence, les réflexions existentielles, beaucoup de lucidité et une pointe d'ironie, le tout donnant un texte rythmé et prenant, plein d'humour, dans lequel le lecteur se plonge tout entier en compagnie d'Adam et des siens, sur les traces des premières amours et des premières désillusions.
Puis c'est la rupture, la cassure. Une page blanche sépare la première partie du livre de la seconde. Blanche comme le silence, comme l'indescriptible, comme l'innommable.
Les dernières lignes de l'enfance d'Adam se clôturent par quelques mots pudiques, par un avertissement discret. On entre dans la guerre, dans les camps, mais de tout cela, nous ne lirons rien. Inutile d'ailleurs. La souffrance d'Adam devenu adulte, seul rescapé d'une famille déchirée et éparpillée, ses silences parlent d'eux-mêmes. Il ne trouve pas les mots, il ne veut pas les trouver, cela ne servirait à rien. Il lui semble impossible de continuer à vivre après tout ce qu'il a vu et vécu. Comment survivre? Et de quel droit?!
Bravo à Vincent Engel pour avoir fait brillamment et subtilement passer cette question du droit à la vie dans les propos de son héros. Une question qui taraude et dérange la future femme de Adam. Une question qui submerge une bonne partie des rescapés. Quelle souffrance pour Adam que de continuer à vivre et d'avoir survécu! Alors il ne parlera jamais de tout cela, les mots ne sortiront pas, ils resteront enfermés dans sa tête en compagnie de ses fantômes.
"A douze ans, le rêve est une profession obligatoire si l'on veut survivre à l'épreuve." (page 49)

Ce texte est bouleversant. Et Vincent Engel sait comment nous guider. En commençant par l'enfance de Adam, il nous fait entrer dans un monde de naïveté et de réflexion conjuguées, de la découverte des premiers problèmes et puis, peu à peu, l'horreur s'installe, nous la regardons à travers les yeux d'un enfant qui ne comprend pas, à travers ceux des membres de sa famille qui sentent venir le danger, de ceux qui n'arrivent pas y croire, de ceux qui veulent fuir et ceux qui veulent agir… Pas de moralisme ou d'assommoir historique, les faits s'installent d'eux-mêmes sans que l'on y puisse quoi que ce soit. et ça dérange. Insidieusement, sournoisement, tout est là. Le lecteur passe du monde joyeux de l'enfance à celui, atroce, des camps de la mort. Le choc est rude, ça fait mal, on se plonge dans la souffrance d'Adam, on comprend ses silences, on a mal au ventre, même si il existe une barrière infranchissable, celle de ne pas avoir vécu cela soi-même.
Merci Monsieur Engel!

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  Pourquoi parler d'Auschwitz? de Vincent Engel 1 Sarah87 27 février 2005 @ 17:18

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