La tyrannie de l'imprimé
de Marthe Robert

critiqué par Serguei, le 4 avril 2007
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Dans la peau de la littérature
Retrouvé dans mon fatras ce livre de Marthe Robert - un journal littéraire de la plus belle facture - et enchanté des réflexions et analyses qu’il contient, j’ai voulu partager ma lecture sur ce site. Je me suis aperçu alors avec effarement qu’aucun livre de Marthe Robert n’y figurait. Voilà pourtant un auteur dont l’œuvre respire l’intelligence et l’honnêteté et surtout un amour irrépressible de la littérature.
Ce livre, qui date du début des années 80, nous parle d’une lecture exigeante et pourtant guidée par le plaisir. Parce que plaisir et exigence vont de pair et que l’un sans l’autre n’est que ruine de l’âme. Mais on parle ici de plaisir total et non des petites excitations impubères qui envahissent les librairies, ni de ces livres frigides formatés par le marketing éditorial. Les auteurs de sa vie auront été Cervantès, Kafka, Flaubert...

Qui fera la critique de « Roman des origines, origines du roman », son livre le plus connu et un classique de la critique littéraire éclairée par la psychanalyse ? Sans elle, ce site est incomplet.

Pour finir, je ne résiste pas à l’envie de recopier un extrait de La Tyrannie de l’Imprimé, pas tout à fait choisi au hasard.

« Depuis quelque temps, le ton des critiques littéraires dans les hebdomadaires et les journaux a remarquablement changé, comme si l'ordre en avait été donné par quelque chef d'orchestre invisible. Alors qu'autrefois, le critique se croyait tenu d'orienter le lecteur dans ses choix, en lui disant où était le bon et le mauvais, pourquoi il fallait s'enthousiasmer ou au contraire rester réservé, il semble aujourd'hui avoir surtout à cœur de ne pas se prononcer : il est léger, piquant, désinvolte, lyrique à l'occasion et pas bégueule pour deux sous, habile à mêler argot, calembours et gros mots aux références érudites qui lui viennent à l'esprit, en relation ou non avec son propos. Bien entendu ce parti de frivolité doit avoir ses bonnes ou ses mauvaises raisons - les plus grossières ne sont pas trop difficiles à deviner. Resterait à savoir pourquoi tout le monde, à quelques exceptions près, a cru bon de s'y rallier à peu près au même moment, et pourquoi le lecteur, qui n'a pas forcément une fortune à dépenser en livres par mois, est ainsi noyé dans un flot de paroles certes agréables, mais plus propres à l'amuser et à l'endormir qu'à lui permettre un choix bien fondé. Car à les lire au jour le jour, ces comptes rendus généralement pleins de brio peuvent paraître assez plaisants, mais à la longue leur caractère massif et le refus de s'engager qui s'y exprime sous toutes sortes de fioritures les rendent tristes et accablants. De sorte qu'en fin de compte leur légèreté et leur éclectisme si évidemment voulus dissimulent mal ce qu'ils sont en réalité : pour les livres et les lecteurs une marque de désintérêt; et pour la littérature elle-même un symptôme de mort, ou tout au moins de grave maladie. »