Vous, Marcel Proust
de Lina Lachgar

critiqué par Guermantes, le 22 mars 2007
(Bruxelles - 76 ans)


La note:  étoiles
Les coulisses de La Recherche
« Il n’y a pas de grand homme pour son valet de chambre » a-t-on coutume de dire. A cette assertion discutable, Céleste Albaret apporta le plus cinglant des démentis.
A la fois gouvernante, bonne à tout faire, secrétaire, confidente de Marcel Proust, elle vécut en étroite symbiose avec celui-ci de 1914 à sa mort, en 1922, veillant sur son confort matériel et, surtout, entretenant avec lui une relation de complicité intellectuelle et affective que seule la mort put interrompre. Témoin privilégiée de la phase décisive d’élaboration de « La Recherche du Temps perdu », elle allait cependant attendre quelque cinquante ans pour nous livrer ses mémoires. Entre-temps, elle tint un modeste hôtel avec son mari Odilon (qui fut du reste le chauffeur de Proust) et fut même un temps gardienne du musée Ravel à Montfort-l’Amaury. Tout au long de ces années, le culte qu’elle vouait à l’immense écrivain auprès duquel elle eut le privilège de vivre ne faiblit pas un instant. Le mot de vénération n’est pas trop fort pour qualifier le sentiment qu’elle n’arrêta pas de vouer à son illustre patron.
Dans son petit livre, Lina Lachgar imagine ce qu’aurait pu être un journal que Céleste aurait tenu au cours des années ayant suivi la mort de l’écrivain. En réalité, plutôt que de « journal », il s’agit ici d’un recueil de pensées, de souvenirs, de rêves creusant inlassablement le sillon imprimé dans la mémoire de Céleste par le souvenir de ses années aux côtés de Proust. Lina Lachgar lui fait ainsi écrire, s’adressant directement à Marcel Proust : « C’est là, Monsieur, dans cet hôtel médiocre et sale (…) que je vis dans mes souvenirs et continue à vous bien servir (…)Au lieu de passer mes jours à l’office à attendre Monsieur comme je le faisais boulevard Haussmann, c’est maintenant dans la petite cuisine de cet hôtel que je vis dans le monde qui est le vôtre(…) ». Ainsi donc, à l’instar de Proust lui-même écrivant La Recherche, Céleste s’enferme-t-elle dans un monde révolu ou plutôt recompose-t-elle celui-ci au gré des souvenirs affleurant dans sa mémoire.
C’est avec beaucoup de sensibilité et de poésie que Lina Lachgar fait parler Céleste, traduisant dans des formules heureuses les pensées que la vraie Céleste –femme, à n’en pas douter d’une intelligence vive et d’une grande sensibilité- aurait pu avoir. A titre d’exemple ce bref paragraphe : « Les oreilles n’ont pas de paupières. M. Proust regardait les bruits et écoutait avec les yeux. Il dépliait les mots comme des étoffes ».
Les nombreux (j’espère) Proustophiles ou Proustomanes se régaleront de la lecture de ce petit livre…tout en s’interrogeant peut-être sur les raisons qui ont poussé l’auteur à le faire suivre d’annexes constituées de rapports de police sordides attestant que Proust fréquentait bien le bordel pour homosexuels tenu par Albert Le Cuziat (modèle de Jupien dans La Recherche). L’intention de Lina Lachgar n’étant pas de nous fournir une biographie détaillée de Proust, je ne vois pour ma part pas l’intérêt qu’il y avait à insérer de tels documents en annexe à son livre par ailleurs bien attachant.
A ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur la vie quotidienne chez Marcel Proust, je ne puis évidemment que conseiller la lecture du livre la vraie céleste, paru en 1973 chez Laffont, sous le titre « Monsieur Proust ». On y trouvera une mine d’informations sur le contexte dans lequel La Recherche a été écrite et sur la personnalité de Proust vue à travers le regard à la fois pénétrant et aimant de Céleste.