Savonarole
de Ivan Cloulas

critiqué par Dirlandaise, le 12 mars 2007
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
Précurseur de la réforme protestante
Un personnage étonnant que ce Savonarole ! Comment un simple moine florentin a-t-il pu avoir autant d'ascendant sur le peuple au point de devenir la personnalité dominante de Florence ?

Le livre de Ivan Cloulas brosse un portrait saisissant de ce religieux austère qui combattit toute sa vie les nombreux vices et corruptions qui faisaient de Florence un lieu de débauches et de perditions. Savonarole, devenu moine au couvent de Saint-Marc commence timidement sa carrière de prêcheur. Il est gauche et maladroit. De plus, son physique est ingrat, disons-le, il est carrément laid. Il a donc des débuts difficiles. Le peuple le rejette car il est habitué à des prêcheurs raffinés et onctueux. Mais les idées de Savonarole font leur chemin. Il devient de plus en plus populaire et écouté. Il s'allie avec le roi de France et réussit le tour de force de renverser le pouvoir des Médicis pour établir une république populaire qui donnera la parole au petites gens. Mais Savonarole n'a pas que des amis. Ses ennemis sont nombreux. De plus, le pape le déteste et veut sa perte. Il finira sur le bûcher en compagnie de ses deux plus fidèles compagnons qui lui sont restés fidèles jusqu'au bout.

Ce livre se lit comme une épopée et est très bien construit. On peut suivre les traces de cet homme exceptionnel de l'enfance jusqu'à son supplice affreux. Après sa mort, le peuple lui vouera un véritable culte et il sera vénéré comme un saint. L'héritage de Savonarole est appréciable en ce qu'il a réussi à instaurer une république à Florence et fut le précurseur de la réforme protestante. Ses nombreux sermons furent imprimés et distribués au peuple, répandant ainsi ses idées et faisant de lui le directeur spirituel de toute une génération. Étonnant !
La fascination exercée par un fanatique 7 étoiles

Après un inoubliable portrait de Laurent de Médicis, Ivan Cloulas ne pouvait que faire de même avec Savonarole qui fut dans Florence l'exact contrepoint du prince et de son entourage d'humanistes comme Marsille Ficin et Pic de la Mirandole.
Contempteur des plaisirs et des vices, il ne montait jamais en chaire sans s'enflammer et sans invectiver et menacer son auditoire en dénonçant tous ses débordements, dénonçant les femmes et les hommes qui ne savaient que vivre dans lFa volupté, et leur peignait les tourments perpétuels et les châtiments auxquels ils seraient condamnés dans l'au-delà s'ils ne réformaient pas leurs mœurs et ne se repentaient pas. Il annonçait les Fins dernières à la manière d'un Joachim de Flore mais des siècles après mais avec plus de virulence.
Même l'art ne trouvait pas grâce à ses yeux, et il invitait les Florentins à ne pas se pâmer d'admiration devant les œuvres des peintres et des sculpteurs, et les invitait au contraire à les livrer aux flammes ou à les détruire comme autant de choses inutiles.
Un tel homme ne pouvait qu'exercer sur son public une véritable fascination, surtout si l'on était quelque peu scrupuleux et craintif et que l'on prenait au sérieux ses annonces de fin du monde dans un avenir proche. Il apparentait l'étranger, le roi de France Charles VIII, à celui qui devait punir de sa main tant de dérives chez les humains et particulièrement chez les Florentins, car il regardait la ville où il faisait retentir sa voix comme un repaire d'êtres débauchés et dépravés.

Tout allait bien, si l'on veut, tant qu'il ne faisait que parler. Mais du moment où il acquit du pouvoir, cet homme que l'on pouvait juste prendre pour un moraliste desséché qui se contentait de fulminer et de condamner verbalement l'aristocratie et le clergé en ce qu'ils s'éloignaient des devoirs de leur état, il devint tout à coup fort dangereux. Il appela chacun à dénoncer le voisin ou le parent qui n'avait pas une vie irréprochable et il avait constitué une sorte de milice qui faisait régner la peur dans la cité, en marquant les portes d'une croix de couleur différente selon que l'on appartenait au lot de ceux qui lui plaisaient et qui agréaient à Dieu ou au contraire à la catégorie de ceux qui étaient voués à la damnation.

Évidemment, on prit prétexte de la terreur qu'il entretenait dans la ville sur laquelle il exerça un moment un véritable pouvoir (comme le fera plus tard Calvin à Genève) pour éliminer cet homme qui s'était fait une spécialité de dénoncer ce qui allait de travers dans le monde des riches et des puissants de ce monde, papauté comprise. Et tous se liguèrent pour l'abattre et l'envoyer périr dans les flammes du bûcher.

Était-il un fou dangereux ? Sans doute : ceux qui accusent autrui oublient trop souvent de s'analyser d'abord eux-mêmes et ne voient pas la poutre qui est dans leurs yeux de censeurs. Mais paradoxalement ces personnalités-là ont aussi le don d'attirer ceux à qui ils inspirent de la frayeur. Thomas Mann l'avait bien compris qui écrivit sur ce sujet "Fiorenza".
Ivan Cloulas, qui connaissait comme personne la Florence du XVe siècle, nous a laissé de très beaux livres qui restituent parfaitement l'atmosphère de l'époque et du lieu et font revivre sous nos yeux les protagonistes de l'affaire en nous éclairant sur les ressorts de leurs actes.
François Sarindar

Francois Sarindar - - 66 ans - 20 novembre 2013