Les grandes occasions
de Bernard Slade

critiqué par Jean Meurtrier, le 26 février 2007
(Tilff - 49 ans)


La note:  étoiles
Occasions ratées
Début des années ’70, Emilie et Antoine s’apprêtent à fêter leur quinzième anniversaire de mariage. Mais cette réception n’est qu’une façade pour les invités, leur avocat et ami Alex et leurs propres enfants : Stéphane, Jennifer et Fanny. En effet, le couple fêté a déjà décidé de se séparer.
Antoine est auteur de pièces de théâtre et connaît un relatif succès. C’est un homme calme, sensible et renfermé, un peu par faiblesse. Ne pouvant s’empêcher de chercher à paraître exemplaire, il tente si possible d’éviter les conflits, avec en permanence le souci naïf mais sincère de ne pas blesser son entourage. Cependant, il entretient une relation distante avec ses enfants qu’il a tendance à sous-estimer.
Emilie est une femme au tempérament assez fort. Au contraire de son mari, elle aime de temps en temps donner un bon coup de pied dans la fourmilière, dans l’espoir de déclencher une réaction. Principalement dévouée à sa progéniture qu’elle adore et soutient sans condition, elle ne s’en considère pas moins comme une perdante. Ce petit complexe d’infériorité inavoué va la conduire à la boisson.
Mais durant les dix années qui suivront leur séparation, ces deux personnages vont évoluer, l’un gagnant petit à petit les qualités de l’autre. Antoine va sortir de sa coquille et Emilie entamera un impressionnante réussite professionnelle. Cette progression est perceptible au fil des occasions qui leur sont données de se rencontrer. Sur le plan sentimental, Antoine va tenter d’oublier Emilie dans une véritable passion pour une femme qui va le quitter par sa faute, tandis qu’Emilie va se reprendre et choisir une vie de couple sécurisante qui ne lui ressemble pas. Cette période sera d’ailleurs suivie par une consommation boulimique d’amants. Durant ce temps, les enfants se lancent dans la vie et réussissent chacun à leur manière, prenant à contre-pied le scepticisme d’Antoine.
Les deux protagonistes ne peuvent vivre longtemps l’un sans l’autre et la tentation est grande de se remettre ensemble. Seulement, la solitude de l’un tombe à contre-temps par rapport à celle de l’autre. Et ces « grandes occasions » que sont les joies et les drames familiaux qu’ils partagent en commun ressemblent surtout à des occasions manquées. En attendant, ils profitent de ces rencontres pour ressortir le passé, les faiblesses inavouées et découvrir que paradoxalement, la peur de perdre l’autre est sans doute la raison de leur séparation.
Cette pièce contemporaine au niveau du style et du sujet sonne très juste. Le thème de la séparation mal assumée est traité intelligemment et beaucoup de spectateurs peuvent se reconnaître chez Antoine ou Emilie. Le savant dosage de l’humour distillé tout au long du texte empêche la pièce de verser dans le drame ou la comédie légère.
Les dialogues sont réalistes et rythmés de répliques efficaces, parfois piquantes. De plus, le texte est accompagné d’illustrations où figurent Jean Reno et Clémentine Célarié, des acteurs de caractère, ce qui a inévitablement influencé ma lecture. Les deux protagonistes ont des traits généraux plutôt clairs, mais accompagnés de personnalités relativement complexes et évolutives. Le spectateur n’en finit pas de découvrir ce couple comme celui-ci se découvre lui-même. L’entourage des deux divorcés, que l’on ne connaît qu’au travers de ces derniers paraît un peu plus grossier. Mais, à sa décharge, il ne peut se défendre directement.
L’économie faite en nombre d’acteur est largement compensée par le travail que peut engendrer la succession des décors, différents à chaque scène : plage, appartement, entrée de théâtre new-yorkais, église…