Martereau de Nathalie Sarraute

Martereau de Nathalie Sarraute

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Mae West, le 28 janvier 2007 (Grenoble, Inscrite le 26 décembre 2004, 73 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 104ème position).
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Eloge de l'*épaisseur*

Dans un appartement du XVI ème arrondissement à Paris, un jeune homme est victime de son inféodation respectueuse à la vanité des choses et des gens qui remplissent son univers. Velléitaire, hypersensible, il est porté sur les vagues de tempêtes singulières. Elles se déchaînent sous son crâne, déclenchées par des paroles d’apparence anodine, mais qui l’atteignent comme des flèches curarisées. Il en est le naufragé chronique, lors de complicités fortuites, de connivences de circonstance, où il se sent entraîné malgré lui, au détour d’une conversation de couloir ou d’une réception mondaine. Contraint à l’oisiveté par sa condition valétudinaire, il est la proie des confidences, l’écoute obligée, le témoin muet et censément admiratif de ses interlocuteurs. Il se sent l'otage sentimental de ces gens qui le protègent : son oncle et sa tante, des grands bourgeois pas pires que d’autres, voire de braves gens au fond, qui le considèrent comme un fils.

Dans le paysage psychologique fragile et inconstant de ce garçon à la sensibilité maladive, arrive Martereau, un entrepreneur à la retraite dont son oncle s’est entiché pour mener à bien un projet immobilier. Le jeune homme va cristalliser sur ce personnage dense ce qui lui manque le plus dans son monde feutré : l’authenticité :

Pour lui, que tant de petits riens déchirent, Martereau apparaît comme un havre de paix, mieux, un port stable où il peut enfin s’ancrer. Car entre Martereau et la réalité qu’il exprime il n’y a pas cette zone sombre d’inconsistance, où se creusent et s’infectent les blessures d’amour-propre, la peur de l’autre, le soupçon. Cet homme simple et vrai fait partie d’un autre univers, celui des gens qui luttent, ou qui ont dû lutter pour leur existence. Aussi, lorsqu’il s’adresse au jeune homme, il ne lui renvoie pas en miroir des considérations d’oisif qui le négativent ou l’enfoncent un peu plus dans son manque-à-vivre.
Il lui renvoie l’image d’une existence réelle, humaine, comme lui. De fait, Martereau figure là comme le personnage en relief dans monde à deux dimensions. Comme Hoederer dans « Les mains sales » de Sartre, il possède une *épaisseur*. Et comme Hugo, le pauvre jeune homme riche va en éprouver une fascination qui le conduira vers un véritable sentiment d’amitié.

Mais Martereau, pris au piège relationnel de cet univers brillant et superficiel, va lui aussi passer à la centrifugeuse du soupçon. Il connaîtra la tentation, l’appel du luxe, l’aveuglement de la poudre aux yeux.
L’humiliation rentrée de voir son honnêteté mise en cause révèlera une autre dimension de l’homme, celle d’un être pas aussi simple qu’il n’y paraît, qui, lui aussi, souffre d’être jaugé à l’image de l’autre et qui, à son tour, est capable de jauger l’autre avec sévérité. Il n’en sortira pas pour autant brisé, un peu plus las, peut-être, mais toujours identique à lui-même.
Car Martereau existe, lui, non seulement par la parole mais aussi par le geste. Il est, il fait. Les fantômes élégants et cultivés qui alimentent des propos de salon ne laissent sur leur passage que l’empreinte du faux, quand la trace profonde des pas de Martereau s’avère. Ce n’est pas qu’il soit meilleur ni plus fort que les autres, il est seulement un peu plus « épais » : plus vivant, plus vrai.

Porté par l’écriture analytique extrêmement fine qui a fait l’originalité et le succès de Nathalie Sarraute dans le sillage du « nouveau roman », Martereau n’a pas obtenu la notoriété du « Planetarium » ou des « Fruits d’or ». Pour autant il les vaut bien, et peut-être un peu plus : comme les deux autres romans, celui-ci présente à la perfection nos mouvements intérieurs, ces sous-discours en forme de « mauvaises pensées » qui se trament derrière la conversation officielle et qui sont la rançon hypocrite de la courtoisie. Mais en filigrane de tous ces mouvements fugaces et incertains, de ces déconcertantes plongées dans la triste vanité des cœurs et des âmes, c’est aussi le récit d’une amitié authentique dont s’échappe, comme d’une boite de Pandore, la lueur du salut existentiel :
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En suivant le personnage de Martereau « (…) nous nous trouvons tout au fond, dans la chambre au trésor : là où, comme dans les caves blindées dans lesquelles est conservé l’or de la Banque de France qui sert de garantie, qui donne sa valeur à notre monnaie courante, se trouvent les grands, les vrais sentiments (…) les vrais sentiments tout simples qui donnent leur valeur et leur signification à la seule chose qui compte : nos actes ».

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Eloge de la simplicité et de la sincérité

8 étoiles

Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 46 ans) - 29 mai 2019

Le narrateur s'ennuie fermement dans le milieu social sclérosé de la haute bourgeoisie du XVIème arrondissement et s'avoue lassé de la composition qu'il doit jouer en public, devoir qui revient d'autant plus souvent que son épouse les contraint à beaucoup recevoir et aller aux dîners, afin de tenter de briller au milieu de ce gratin très sélect. Le caractère superficiel des relations pèse au narrateur et il apprécie peu d'être jugé par cette élite qui semble le rabaisser par ses questions, considérations et sous-entendus.
Et c'est là qu'intervient prodigieusement Martereau, sorte d'oasis inattendu et inespéré de sincérité et de simplicité dans cet océan de relations factices, snobs et guindées. Son authenticité le séduit, de surcroît au sein de ce milieu, jusqu'au moment où cet homme providentiel se laisse doucement mais sûrement tenter par le luxe et le paraître, sans l'ostentation des pairs qui les entourent.

Faut-il a minima s'adapter à son milieu, se fondre dans son environnement ? ou bien rester authentique jusqu'au bout, quitte à se montrer réfractaire, voire sectaire, à celles et ceux qui ne vous ressemblent pas ? Le débat ouvert, déjà présent dans Tropismes, de la même auteure, pose les jalons d'un débat intéressant. La recherche de sincérité et le rejet a priori du superflu paraissent louable, bien que l'idée poussée à l'excès peut relever d'un rejet discriminant, les facultés d'adaptation restant avant tout une qualité. Le propos doit donc être nuancé, mais offre d'intéressantes pistes de réflexion. Ce roman, estimé, est donc à recommander.

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  Tra la la la laire... du soupçon. 2 TELEMAQUE 8 février 2007 @ 09:54

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