Tessons roses
de Ornela Vorpsi

critiqué par Brice Depasse, le 23 janvier 2007
(Namur - 61 ans)


La note:  étoiles
Les tessons roses
Une jeune fille de dix-sept ans vient à mourir, non pas prématurément mais « comme tout le monde à n’importe quel moment, voilà tout ». Malgré son jeune âge, elle a beaucoup songé à la mort, « la chose la plus fidèle dans tout ce que j’ai connu et possédé au long de ma brève existence ». « Tessons roses » est l’histoire de sa vie racontée depuis l’au-delà. Nardi, son premier émoi mais aussi Bianca et Blerina. Les jeux interdits dans la cave du grand-père alors qu’elle encore pré-pubère. Grand-mère, « elle avait toujours les bras ouverts, … qui tomba tomba tout à coup de sa chaise et mourut … les grandes choses n’avertissent jamais de leur venue. Dehors, il faisait beau, c’était une nuit d’été avec à profusion le parfum de l’herbe mouillée et les lucioles flamboyant alentour ».
Le premier amour, Vasco. « La beauté est une puissance aveugle, elle te prend, te coupe le souffle, elle te creuse les yeux parce qu’ils ne doivent appartenir qu’à elle, … tu la subis contre ta raison ».
Ornela Vorpsi, Albanaise d’origine, s’est fait un nom en Italie avant de s’établir à Paris. Remarquée en France avec « Buvez du cacao Van Houten ! », elle publie aujourd’hui chez Actes Sud deux livres simultanément dont ce court récit illustré par des photos (dispensables) de son cru.
Admirablement servie par la traduction d’une grande plume, celle de Yann Apperry (Prix Medicis et Goncourt des lycéens), « Tessons roses » est avant tout un très beau texte qui ravira les afficionados d’auteurs comme Nina Bourraoui. Dont je suis.
souvenirs des émotions et des fascinations de l'enfance 9 étoiles

Ce très petit livre (il se lit en 1 heure) se compose de 7 textes courts et de photographies noir et blanc, qui leur font écho sans les illustrer. Le ton du recueil est très particulier : il cherche à restituer, d’une manière à la fois subjective (assumant le « je ») et distanciée (la narratrice évoque des souvenirs), l’émoi d’une petite fille face aux mystères de la mort et du corps, dont les premières sensations sexuelles dans des jeux entre filles. L’écriture est explicite mais jamais crue, et parvient à faire ressentir l’intensité des sensations et des interrogations de la fillette confrontée à des situations qui la dépassent : la peur du noir, la mort brutale de sa grand-mère, la fascination pour la beauté dangereuse d'hommes qui imposent leur densité de présence (le vieil oncle, Vasco, mais également Ugolin dans les illustrations de L'Enfer de Dante), le plaisir honteux des attouchements, la révélation de la folie dans les gestes d'une femme qui chante dans la rue… Les textes évoquent aussi l’angoisse des rentrées scolaires et, dans le regard rétrospectif de l’adolescente qui se retourne sur son enfance, le lent éveil de la jeune fille naissante qui parle depuis le purgatoire, dans l’au-delà. En effet, le récit s’ouvre sur la mort (réelle ou symbolique) de la narratrice à l’âge de 17 ans, avec des mots très simples mais d’une grande densité :
Je suis morte par hasard. Je dis par hasard parce que j’étais encore jeune et que je n’étais pas malade. Mais dès qu’il naît, tant il est fragile, l’être humain est en âge de mourir. Je ne devrais donc pas dire que j’étais encore jeune et que je n’étais malade, j’étais un humain qui pouvait mourir comme tout le monde à n’importe quel moment, voilà tout.

La symbolique récurrente des tessons roses (en fait des morceaux de verre teinté dans la masse, que la petite fille a ramassés) est très bien utilisée : elle évoque la beauté des choses fragiles, qui conserve leur beauté même après avoir été cassées…

Le livre souligne la fragilité des êtres, qui fait naître un sentiment de menace et, presque paradoxalement, une puissante appétence sensuelle pour cette fragilité proche de la douceur. Les photos en noir et blanc, que je ne juge pas « dispensables » contrairement ce qu'évoque Brice dans sa critique, entretiennent l’atmosphère de désir et de danger latent qui pèse sur la jeune fille. A ce titre, l’éditeur aurait judicieusement pu choisir d’accompagner le texte de photos d’Irina Ionesco.

Eric Eliès - - 49 ans - 19 décembre 2015