Le Malaise de la culture
de Marc Bélit

critiqué par Grossel, le 18 janvier 2007
( - 83 ans)


La note:  étoiles
Mal écrit mais nécessaire au débat, ce Malaise
Voilà un livre de 408 pages paru en octobre 2006, écrit par un directeur de Scène Nationale, à Tarbes, dont on se demande comment il a pu paraître dans cet état d’approximation sur les plans de l’expression (incorrections, redondances, tics genre : on n’a peut-être pas assez souligné,…), de l’orthographe, de la ponctuation et de l’accentuation. Bref, il m’a fallu faire un gros effort pour ne pas abandonner la lecture qui m’a pris près de 3 semaines. Mais le sujet m’intéresse, moi-même ayant réfléchi et fait des propositions pour un service public de la culture et ayant appelé à débattre avant les présidentielles sur un thème peu abordé par les candidats.
Ce livre mal écrit, se permettant de vouloir en imposer par un recours abusif à des expressions latines ou américaines, au prétexte que ce n’est pas traduisible (mon œil!), présente tout de même un intérêt parce qu’il fait un tour d’horizon des politiques culturelles menées depuis le Front populaire, en passant par Vichy, Malraux, Duhamel, Lang et les autres, politiques gouvernées par l’impératif de la démocratisation culturelle et qui toutes ont couru après cet objectif inatteignable, parce qu’il donne à réfléchir sur des notions comme peuple, public, publics, culture populaire, culture légitime, culture élitiste, culture d’intégration, culture d’assimilation, exception culturelle, diversité culturelle, œuvres d’art et produits culturels, culture et loisirs, consommation culturelle de masse liée à une industrie culturelle mondialisée et concentrée, culture plurielle, culture éclatée, culture collective et culture individuelle, hédonisme et aliénation, divertissement et éducation, nouvelles pratiques artistiques et culturelles avec internet et autres machines…
L’auteur a lu ses classiques de la sociologie d’aujourd’hui:
- Bourdieu dont on ne dira jamais assez le tort qu’il a causé en dynamitant la culture légitime devenue culture de classe, de caste, d’élite, de domination, de goût…,
- Lahire qui nous a montré que chaque individu aujourd’hui fabrique sa culture, de bric et de broc, du haut et du bas, en bricolant pour son plaisir,
- Steigler qui affirme que ce bricolage est aliéné par les manipulations de l’industrie culturelle poussant à la consommation, à la surconsommation,
- Lipovestky qui montre comment l’hédonisme s’est emparé du champ culturel avec le remplacement du devoir, de la culpabilité par la recherche du bonheur, la satisfaction des désirs, la réalisation ou l’épanouissement de soi,
- Arendt qui s’interroge sur ce que le divertissement va entraîner comme conséquences sur la valeur et la durée des œuvres, des grandes oeuvres,…
Bien d’autres aspects sont abordés qu’il s’agisse de la télévision, du livre, du cinéma, de la musique, du spectacle vivant, du nouveau cirque, des arts de la rue ; le tout culturel et le tous artistes ; amateurs créatifs et professionnels piratés ; lois du marché et encadrement-accompagnement politique des évolutions de comportements.
Donc en fin de compte, un large tour d’horizon, exhaustif ou cherchant à l’être, et pour cette raison, pour ce travail, ce livre se justifie.
L’impression reste quand même que devant la complexité de l’objet, devant les extraordinaires mutations qui s’inventent sous nos yeux, l’auteur a du mal à y voir clair et nous avec. Il ne faut pas s’étonner si les propositions qu’il fait en fin de livre pour sauver la culture paraissent légères et même contradictoires.
Si en effet, le nouveau modèle est celui décrit par Bernard Lahire, d’individualisation des pratiques culturelles conjuguée à la démocratisation des biens culturels à la fois par l’industrie des produits culturels et par les politiques culturelles d’aménagement culturel du territoire, d’accompagnement des pratiques culturelles innovantes ou légitimes, alors il faut viser le tout culturel et le tous artistes, ce qui se confirme avec le choix que font de plus en plus de jeunes de vouloir vivre (de) leur pratique artistique : prolifération des compagnies, des groupes musicaux, cela exprime la volonté de vivre sa vie en se faisant plaisir plutôt que de gagner sa vie en se soumettant au carcan professionnel. Pourquoi alors Marc Bélit privilégie-t-il un projet nourri d’un vivre ensemble qui ne semble plus correspondre à la réalité ?
Là où Malraux pensait que la fréquentation des œuvres d’art, leur appropriation pouvait donner sens à la vie en triomphant par l’art de la mort, les pratiques artistiques et culturelles d’aujourd’hui n’ont plus cette ambition métaphysique, philosophiquement fausse d’après moi (on ne triomphe pas de la mort) comme elles n’ont plus cette ambition politique de contribuer à un vouloir-vivre ensemble : elles se contentent de satisfaire, d’essayer de satisfaire chacun dans sa recherche de plaisir, de bonheur, par le corps, par l’esprit, par la créativité, par le ludique… Que les industries culturelles y trouvent leur compte, nul doute, que l’on balaye cette approche hédoniste de la vie en la condamnant comme le font ceux qui rejettent aujourd’hui 68, n’enlève rien à la valeur de ces nouveaux rapports à la vie : cela me rappelle le droit à la paresse de Paul Lafargue.
En quoi vaut-il mieux un ouvrier fréquentant le TNP à l’époque glorieuse de Jean Vilar qu’un jeune qui avec internet s’approprie, pirate, bricole ses musiques, ses films, les partage… ?
Relevant des contradictions, par exemple l’Unesco, renonçant à une définition universaliste de la culture pour une conception fondée sur le respect de la diversité culturelle, ou par exemple, la difficulté aujourd’hui pour un Français moyen d’être fier de sa culture soumise aux critiques des minorités ayant été asservies, colonisées (voir le débat et le tollé sur les aspects positifs de la colonisation), l’auteur semble pencher pour des modèles d’hier, réactualisés, revisités, la grandeur de la France et de ses oeuvres.
Les éditoriaux de Marc Bélit que je mets en ligne permettent de se rendre compte de ses hésitations (il fait de bons diagnostics mais il a du mal à en tirer une ou des politiques culturelles).
Cela dit, je pense que malgré des insuffisances, ce livre comme ces éditoriaux peuvent aider à quelques jours de la Présidentielle (Ségolène Royal est à l’écoute jusqu’au 11 février avant de formuler ses choix) à avancer des propositions.
http://les4saisons.over-blog.com/article-5289282.h…