Les nuits de Flores
de César Aira

critiqué par Kinbote, le 30 décembre 2006
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Irréalisme magique
Aldo et Rosita, un couple de retraités, livrent des pizzas à domicile. Ils le font à pied cependant que les jeunes livreurs le font à mobylette dans des courses folles et imprudentes. L’auteur nous les décrit comme des retraités encore alertes qui jettent sur le monde qui les entoure un regard perçant. Mais la mort d’un jeune, Jonathan, après kidnapping, signalée d'abord comme un simple fait divers, va prendre au fil des pages de plus en plus d’importance.
La césure de ce roman intervient quand l’auteur braque son projecteur sur Zenón Mamaní, le procureur qui va avoir en charge le crime de l’adolescent. On découvre sa femme, son fils, un ami écrivain… Au moment où le procureur jette les bases de son enquête, tous les repères vacillent et on est entraîné dans une histoire de plus en plus déjantée où le couple de retraités n’a plus rien de sage et où l’énigme de l’affaire se résoudra non sur le mode réaliste mais précipitamment et d’une manière loufoque autant que terrifiante, même si l’auteur avait en quelque sorte instillé rapidement des germes d’irréalisme par l’introduction d’un gnome parlant, mi-nain mi-oiseau, et d’un couvent singulier.

Ou par des passages sibyllins comme celui-ci:
« C’était une espèce de cercle vicieux. Il fallait savoir pour pouvoir s’identifier, mais la connaissance déformait les faits. En réalité, il n’y avait rien à raconter, parce qu’il n’y avait pas de temps disponible et que la simultanéité ne se raconte pas. »

C’est comme si l’auteur nous mettait en présence de plusieurs genres littéraires pour, à la fin, les secouer tous dans son shaker fantastique et nous laisser démunis, en proie à de nombreuses questions, et avec comme seule alternative celle de rebobiner le film du roman pour découvrir quelques clés propres à percer le mystère de ce surprenant délire littéraire malmenant nos habitudes de lecture et se révélant finalement une ode à l’Amour Pur qui est, comme chacun sait, l'objet d'une recherche sans fin.

Ce roman fait assurément partie de la catégorie des « romans qui pensent », tel que l’ a développé Kundera dans son dernier essai, dans lesquels la ligne narrative (la "story") est parsemée de digressions, de ruptures et la « frontière du vraisemblable » allègrement franchie pour mieux « aller dans l’âme des choses. »

On peut dire aussi, à l'instar de Vila-Matas parlant récemment de l'oeuvre de Rodrigo Fresán, que cet ouvrage s'inscrit dans le courant de l'irréalisme magique.

L’auteur, argentin, né en 1949 « passe pour un des auteurs les plus excentriques et les plus novateurs de la langue espagnole d’aujourd’hui. » A juste titre.