Secrets - L'écharde, tome 1
de Frank Giroud (Scénario), Marianne Duvivier (Dessin), Bertrand Denoulet (Couleurs)

critiqué par Shelton, le 29 novembre 2006
(Chalon-sur-Saône - 67 ans)


La note:  étoiles
Les secrets de famille...
La bande dessinée démontre, depuis quelques années, sa maturité en allant nous conter des histoires qui ne sont plus, seulement, des aventures de grands chemins mais, tout simplement, des destins humains… Frank Giroud, le scénariste dont tout le monde parle aujourd’hui après ses succès dans Le Décalogue ou Quintett, s’attaque, ici, à la délicate chose que sont les secrets de famille. « Les artistes ne découvrent rien de nouveau. Ils apprennent de mieux en mieux le secret qui leur a été confié au début… » ! [Bruno Schulz]
Aucune phrase ne correspondrait mieux au personnage d’Annette de cette histoire… Elle savait tout depuis toujours, mais il fallait qu’elle arrive à apprendre ce secret pour l’intégrer dans sa vie…
Pour le lecteur, cette histoire se déroule sur deux albums de 54 planches dessinées par Marianne Duvivier, et il fallait bien une femme pour rendre acceptable et touchante cette dramatique vie…
Tout commence, en tout cas pour le lecteur, en mai 1968, à Paris, en compagnie de deux sœurs, Annette et Hélène, étudiantes, actrices et témoins de ces évènements estudiantins, révolutionnaires et politiques… La maman, Marie-Louise, vit dans les Cévennes… Lors des vacances de Pâques, on ne disait pas encore de printemps, le père, Robert, se suicide en se pendant dans son atelier !
Même, si, comme les commères du village, nous avons envie de dire que cette Marie-Louise manque de joie, d’entrain et de peps, rien ne semblait pousser le pauvre Robert à une telle fin. Ses filles semblent tomber de haut et Annette aimerait comprendre. Elle se souvient d’un papa doux, attentif, aimant…
La vie continue, mai 68 aussi, les étudiants vont d’AG en manifs, et réciproquement. Annette connaît un certain Philippe, Hélène un révolutionnaire prénommé Guy… Annette pense à ses examens comme une chartiste sérieuse, Hélène rêve de changer le monde…
Mais le passé va les rejoindre, doucement, sans faire de bruit, sans les ménager, sans les protéger…
Qu’est-ce qui peut bien les menacer ? Frank Giroud construit son scénario avec un tel talent que l’on a bien du mal à deviner la totalité de ce secret de famille… A la fin de ce premier album, on est comme tétanisé, pétrifié, sans vie… on sait que c’est gravissime et, pourtant, on ne sait presque rien… Il faut un scénariste de génie pour proposer une telle histoire avec un suspense aussi fort, dense, profond…
La narration graphique est presque parfaite. Marianne Duvivier sait faire alterner l’intimité avec l’Histoire, le futile avec le tragique, en adaptant son dessin à chaque situation tout en gardant une unité de style qui restera en mémoire du lecteur pour longtemps… Et dire que l’on s’est privé des « femmes » dans la bédé, pendant si longtemps ! Cette touche sensible et efficace nous manquait, la voilà qui arrive dans une bande dessinée de très grande qualité, avec un humanisme comme je les aime profondément…
Une bande dessinée pour tous les lecteurs, de tous les âges, de tous les sexes, mais qu’il faut, impérativement, faire lire aux adolescents qui sont en rupture avec leurs parents, car ce n’est pas facile pour eux, ni pour leurs parents… et cette bédé pourrait permettre de comprendre certaines choses de la vie…