Le procès d'Oscar Wilde
de Merlin Holland

critiqué par Mieke Maaike, le 16 novembre 2006
(Bruxelles - 51 ans)


La note:  étoiles
Intégralité des interrogatoires et plaidoiries du procès en diffamation Wilde–Queensberry
Entre 1892 et 1895, Oscar Wilde entretient une relation amoureuse avec le jeune Lord Alfred Douglas. Le père de ce dernier, le marquis de Queensberry, tente de mettre fin à cette relation scandaleuse, d’abord en envoyant des lettres incendiaires à son fils, puis en menaçant directement Wilde, enfin en déposant une carte au club de l’écrivain sur laquelle il est indiqué « Pour Oscar Wilde posant au sodomite » et en enjoignant le portier de la remettre à son destinataire. En réaction à ce dernier fait, Wilde dépose plainte en diffamation contre Queensberry.

Ce livre nous présente, pour la première fois, l’intégralité des interrogatoires et plaidoiries de ce procès durant lequel Wilde tentera de convaincre les jurés que les propos de Queensberry sont une atteinte sans fondement à son honneur et à sa réputation ; tandis que Queensberry, par l’entremise de son avocat, démontrera le bien-fondé de ces propos tenus par un père voulant arracher son fils à cette fréquentation sulfureuse. Il ne s’agit donc pas de littérature, mais d’un document historique consignant méticuleusement les échanges qui ont eu lieu lors de ce procès, ce qui est particulièrement intéressant pour appréhender les mentalités de l’époque et surtout la personnalité d’Oscar Wilde.

Tout au long des joutes verbales, on retrouve un Wilde à l’esprit brillant, enchaînant répliques impertinentes et irrévérencieuses, démontrant son sens de la répartie, déclenchant l’hilarité du public, transformant par moment le tribunal en salle de théâtre :

CARSON (avocat de Queensberry, tentant de démontrer le caractère immoral du livre « le portrait de Dorian Gray ») : L’affection et l’amour que le peintre éprouve envers Dorian Gray, tels que votre livre les décrit, pourraient conduire un être ordinaire à croire qu’ils ont une tendance sodomitique, ne croyez-vous pas ?
WILDE : Je n’ai pas connaissance des êtres ordinaires.
CARSON : Ah, je vois… Mais vous n’empêchez pas les êtres ordinaires d’acheter votre livre.
WILDE : Je ne les en ai jamais dissuadés.

A d’autres moments, Wilde développe plus sérieusement son point de vue sur la morale, la littérature, l’art, la vie : « Je ne pense pas qu’un livre ou une œuvre d’art, quels qu’ils soient, produisent un quelconque effet ni induisent un quelconque comportement. Je ne crois pas à cela. ». Plus loin, sur un autre sujet : « Je crois que l’épanouissement personnel est le but primordial de la vie. Je crois que s’épanouir par le plaisir est plus bel et bon que le faire par la souffrance. C’est l’idéal païen de l’accomplissement humain par le bonheur, en opposition à l’idée plus tardive, et peut-être plus grande, d’un accomplissement par la souffrance ».

Mais au fil de l’interrogatoire, l’étau se ressert autour de Wilde. Carson lui soumet une longue liste de questions de plus en plus explicites sur ses relations « intimes » avec plusieurs jeunes hommes. Wilde les nie obstinément, jusqu’à ce qu’il dérape, emporté par la tentation d’un bon mot :

CARSON : Avez-vous connu Walter Grainger ?
WILDE : Oui.
CARSON : Qui était-ce ?
WILDE : Un domestique à l’appartement de lord Alfred Douglas à Oxford.
(…)
CARSON : L’avez-vous jamais embrassé ?
WILDE : Oh non, jamais, jamais ! C’était un garçon singulièrement quelconque.

Wilde perdra son procès en diffamation contre Queensberry reconnu non coupable. Mais surtout, ce procès et sa médiatisation porteront au grand jour l’homosexualité de Wilde qui jusque là relevait de la rumeur. Scotland Yard arrêtera ensuite Wilde et deux autres procès intentés cette fois par la Couronne le condamneront à deux ans de prison pour homosexualité.

Attention, ce livre ne contient que l’intégralité du procès en diffamation, et non les deux procès ultérieurs certainement encore bien plus intéressants. Ce livre aurait dès lors, pour éviter toute confusion (probablement sciemment entretenue par l’éditeur, raison pour laquelle je ne mets que 3 étoiles), dû porter le titre nettement moins vendeur « Le procès de Lord Queensberry ». Néanmoins, cet ouvrage contient en outre une longue et intéressante introduction du petit-fils d’Oscar Wilde, Merlin Holland, qui replace avec beaucoup de précision ce procès en diffamation dans son contexte historique et familial, et qui donne succinctement le contenu des deux procès ultérieurs.