Fils unique de Stéphane Audeguy

Fils unique de Stéphane Audeguy

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 1 novembre 2006 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 6 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 223ème position).
Visites : 4 569  (depuis Novembre 2007)

Le siècle de François Rousseau

Pour son second roman, Stéphane Audeguy a choisi de raconter, à la première personne, la vie de François Rousseau, ce frère peu connu de Jean-Jacques. Une vie imaginée qui débute à Genève sept ans (on est en 1705) avant la naissance du frère illustre. Relation fusionnelle avec la mère qui décède peu après la naissance de Jean-Jacques ; réapparition du père parti quelques jours après la mise au monde de François et qui étrennera pour ainsi dire sa paternité avec son second enfant, tout en délaissant le premier. François, lui, comble ce manque d’attention paternelle dans sa relation avec le comte de Saint-Fonds, un aristocrate protestant, qui meurt trop tôt mais qui aura eu le temps de lui faire connaître les plaisirs libertins et la lecture de Lucrèce. Il monte ensuite à Paris (et ne reverra plus Jean-Jacques) où, fort de sa formation d’horloger, il travaille bientôt dans une maison de passe à la construction de godemichés et d’automates singuliers. Il se retrouve enfermé pour 27 ans à la Bastille où il rencontrera Sade…
Voilà la première partie des péripéties que vit François, à l’écart de l’existence de son cadet, dont la réputation va grandissant et qui deviendra un modèle pour les révolutionnaires dont il nous est donné un portrait peu ragoûtant puisque, ayant succédé à son frère, François connaîtra les premières années ayant suivi la prise de la Bastille.
« Je marchais sans but dans ces nuits parisiennes où il n’y avait plus que des citoyens ; et j’avais toutes les peines du monde à y reconnaître des hommes. »

Malgré les évidentes qualités d’écriture et d’imagination de ce texte écrit dans le style de celui des romans picaresques du XVIIIe siècle, je n’ai pas vraiment été emporté par son action (surtout à partir de l’épisode de la Bastille) car les traits de colle et les emprunts m’ont paru trop apparents. Par exemple, l’automate Cloaca, clin d’oeil à la machine de Wim Delvoye, ou la scène de l’écartèlement, qui renvoie à celui décrit par Michel Foucault dans Surveiller et punir. Mais aussi les épisodes consacrés aux femmes militants pour leur « émancipation », à la prise de la Bastille ou à la fête de l’Être suprême… narrés dans le but de coller aux événements de l’époque et de faire sens.
Des 27 ans passés à la Bastille par son héros, Audeguy ne retient que l’histoire de la sauvegarde du manuscrit des 120 journées de Sodome, prétexte à opposer, de fort belle manière, la vision prosaïque du Divin Marquis à celle, utopiste et victimisante, des œuvres du petit frère dont les restes finiront au Panthéon.
« J’avais voulu trouver Sade pessimiste, outrancier. J’en voulais maintenant à l’Histoire de lui avoir donné raison : les plus froids raisonneurs avaient construit les guillotines, les plus cruels des hommes avaient jeté ces enfants enrubannés dans les rues d’une ville morte. Je crois aujourd’hui à la douceur infinie, la tristesse de Sade, et je dis que si nous l’avions seulement lu, entièrement et profondément lu, nous nous serions engagés peut-être sur la voie qui mène à la fin de toute peur ; je ne pense pas seulement à cette Terreur qui vient de tomber, mais à celle qui forme le fond de la misère humaine. »

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La chronique de Froissart

9 étoiles

Critique de FROISSART (St Paul, Inscrit le 20 février 2006, 76 ans) - 30 janvier 2023

Jean-Jacques Rousseau mentionne en quelques lignes dans Les Confessions l’existence d’un frère aîné contraint, suite à quelques écarts de conduite et surtout à une altercation ayant provoqué mort d’homme, de quitter la demeure familiale et Genève pour échapper à la police.
Il semble que notre Jean-Jacques national n’ait ensuite plus jamais eu ou plus jamais cherché à avoir de nouvelles de son frère.

L’auteur s’est emparé de cette révélation pour faire écrire l’histoire de François Rousseau, né en 1705, par lui-même à la première personne, comme en une sorte de « Confessions » parallèles.

L’adolescence de François se déroule à Genève. Le jeune Rousseau, qualifié de « polisson » par Jean-Jacques, son cadet de dix ans, effectue un séjour en maison de correction à l’âge de treize ans et s’initie ensuite au métier d’horloger, tout en bénéficiant, selon l’auteur, de la tutelle équivoque et de la férule pédago-philosophique d’un certain marquis de Saint-Fonds, grâce à la protection, aux relations et à l’assistance de qui, après l’homicide involontaire, le fugitif vivra quelques années tranquilles en France.

La suite de son existence, que l’auteur fait longue puisque le personnage raconte dans les dernières pages sa participation anonyme au transfert au Panthéon des cendres de son frère en 1794, est essentiellement romanesque. Le récit brasse, recouvre, enfouit, assimile en une fiction assurément captivante les quelques rares détails concrets qui aient pu être retrouvés de la vie du véritable François et les quelques allusions faites par Jean-Jacques dans les Confessions, mais le lecteur peut n’en rien savoir et cela n’a pour lui aucune importance. Le fait est qu’on se laisse facilement entraîner dans le cours aventureux d’une vie qui se déroule et s’inscrit, et c’est là que le roman prend toute sa consistance, tout son intérêt, et toute sa raison d’être, dans un contexte historique soigneusement reconstitué sur la base d’une documentation particulièrement fouillée. Alors la fiction trouve là, paradoxalement, une plausible réalité.

Tout devenant possible de la part de l’auteur, destinateur omnipotent, François Rousseau traverse le XVIIIe siècle tantôt brimbalé dans les turbulences de cette époque riche en événements de toute nature, tantôt témoin rapporteur, tantôt figurant anonyme dans des reconstitutions de scènes historiques, tantôt promu et institué participant, voire acteur de premier plan dans de grands événements.

Tout en observant, notant, contant, agissant, le narrateur commente, analyse, critique l’actualité, les faits, la politique, les prises de position des célébrités du siècle, les mœurs et leur évolution, les courants philosophiques contradictoires qui agitent cette période tumultueusement féconde.

Ainsi, par exemple, est relatée l’affaire Damiens, du nom de l’auteur d’un attentat au couteau contre Louis XV. Après avoir rappelé les circonstances de l’attentat, l’arrestation, le procès et la condamnation à mort de Damiens, François se retrouve aux premières loges, et avec lui le lecteur, pour suivre les supplices successifs qui sont infligés à l’agresseur en place de Grève.

L’homme avait dormi attaché sur un lit afin d’éviter qu’il n’attentât à sa propre vie. Sa cellule avait été entourée d’une nuée de gardes. Les despotes n’aiment guère qu’on leur dispute le droit de tuer, et font en sorte de vous l’appliquer du plus lentement qu’ils le peuvent.

L’auteur ne se prive pas d’évoquer à l’occasion un travers populaire de toujours qui connaît à notre époque, avec les réseaux sociaux, ses plus irraisonnables développements

Et puisque aucune hypothèse concernant ceux qui avaient armé le bras de Damiens ne soutenait un examen sérieux, on se mit en devoir d’en former de plus vagues, de plus fumeuses, de plus extravagantes, de plus enivrantes : on inventa des complots inextricables, des conspirations géniales, des menées si ténébreuses que le diable lui-même ne s’y serait point reconnu.

Stéphane Audeguy sait écrire, manier la langue, la belle, l’élégante, celle du siècle de Rousseau, ce qui contribue à accorder un feint crédit à ce qui est présenté comme un récit autobiographique, à considérer comme vraisemblables ces Confessions et conséquemment à donner corps, chair et âme à ce personnage dont on oublie aisément qu’il est de fiction.

Alors on s’y laisse prendre. On sympathise. On s’intéresse aux aléas d’une existence dense et pleine de péripéties. On plonge dans le siècle. On entre dans l’intimité présumée de la famille Rousseau, on découvre les relations distendues entre les parents, les années d’enfance de François, choyé, chouchouté, gâté par les femmes de la maison (le père ayant pour un temps disparu), et la perte brutale de son statut d’enfant unique à la naissance de Jean-Jacques suite à la réapparition inattendue du père et au rabibochage du couple parental.

Et on suit François philosophe, parfois à contre cours du système de pensée du célèbre frère avec qui, avant l’exil, il lui est arrivé de débattre, par exemple de la prédestination, François rebelle, François critique social, François athée, libre penseur, François libertin dont la première affirmation philosophique se manifeste à l’âge de quatorze ans dans une thèse qu’il fait lire à son mentor Saint-Fonds.

Le clitoris m’apparut comme la preuve irréfutable de l’inexistence de Dieu. […] Enchanté de moi-même et de mon système, je donnai à Saint-Fonds une belle copie de ma philosophie première. Il la lut aussitôt, et je ne me souviens pas de l’avoir vu jamais autant rire…

François ami d’une proxénète de haut rang dont il devient le conseiller dans la gestion de la maison de rendez-vous, François ballotté dans les tourbillons de la Révolution, François embastillé, François qui devient, à la Bastille, l’ami, le confident de notre divin marquis, qui sauve de la destruction du bâtiment, en 1789, le manuscrit des Cent Vingt Journées de Sodome, François libéré qui obtient le privilège de récupérer et de vendre les pierres de la forteresse, François qui utilise son savoir d’horloger à la fabrication d’un automate pouvant servir d’infatigable et puissant amant, avec coups de boutoir appropriés et prétendues vraies éjaculations, aux dames de la bourgeoisie, voire à leurs maris… On en passe, et des meilleures.

François, dont le caractère, les pérégrinations, la morale, l’agitation sociale, les fréquentations, les intrigues, les manigances, les trafics en tout genre apparaissent comme une image inversée de ce qu’on imagine de l’existence de Jean-Jacques…

Truculence, turbulence, fantaisie, critique socio-historique font de ce roman qui eût pu être écrit par un libertin du XVIIIe siècle un savoureux morceau de littérature.

Patryck Froissart
Plateau Caillou, vendredi 14 octobre 2022.


L’auteur :

Né à Tours en 1964, Stéphane Audeguy étudie tout d’abord la littérature anglo-saxonne, et séjourne un an aux États-Unis, en tant qu’assistant à l’université de Charlottesville (Virginie). Puis il revient à Paris, où il obtient l’agrégation de lettres modernes. Attiré par le cinéma, il collabore à divers courts métrages. Il enseigne ensuite l’histoire du cinéma et des arts dans les Hauts-de-Seine. En 2005, les éditions Gallimard publient avec succès son premier roman, La Théorie des nuages. Ce roman inclassable et poétique est récompensé par de nombreux prix, dont le Grand Prix Maurice Genevoix de l’Académie Française. En 2007 paraît aux éditions Gallimard son deuxième roman, Fils unique : ces mémoires fictives du frère aîné de Jean-Jacques Rousseau, érudit et libertin, reçoivent le prestigieux prix des Deux-Magots. Suivent un roman situé dans le Kenya contemporain, Nous autres (2009), et un roman d’Histoire et d’amour donnant la parole à la ville de Rome, Rom@ (2011).

Les fausses mémoires du vrai frère de Jean-Jacques Rousseau

7 étoiles

Critique de BMR & MAM (Paris, Inscrit le 27 avril 2007, 64 ans) - 8 août 2007

Après la Vénus anatomique de X. Mauméjean dont nous avions parlé il y a peu de temps (enfin, l'an passé quand même !) voici, pour les amateurs, une autre uchronie, sous la forme des fausses mémoires du vrai frère de Jean-Jacques Rousseau : Fils unique de Stéphane Audeguy.
Même période (le début du XVIII° et Louis XV) et même air du temps : les Lumières d'avant les bouleversements révolutionnaires et les automates (on y croise de nouveau Vaucanson et son canard qui crotte, décidément !).
Le tout sur un ton très libertin puisque ce frère coquin de JJ. Rousseau s'essaye consciencieusement à toutes les polissonneries de son époque, et va même jusqu'à côtoyer le marquis de Sade à la Bastille.
Le style de S. Audeguy est plus travaillé que celui de X. Mauméjean, son roman historique est plus classique mais aussi plus rigoureux.

[...] La France sait reconnaître ses penseurs, mais c'est quand ils sont morts. Ainsi elle épargne aux vivants la peine de les lire.
[...] Je crois que la variété des cons et des corps n'est pas moins grande ou moins plaisante que celle des visages. Une tête après tout a moins de plis charmants qu'un con; il est des sexes imbéciles, mornes et sans expression, d'autres, au contraire, avenants et joyeux comme des visages amis. Enfin jai trouvé que cette face-là mentait moins que l'autre; et c'est peut-être pourquoi l'on cache la première et que l'on montre la seconde.
[...] J'assistai donc, d'une des fenêtres de l'Hôtel municipal, au premier usage de la guillotine. Lorsque le couperet tomba, il y eut une rumeur sinistre dans la foule. Je crus qu'elle s'indignait, et je me méprenais. Un vieil officier municipal me détrompa : la foule grondait devant un spectacle aussi bref et aussi dépouillé, et elle regrettait les potences, les tortures, les cris et les contorsions des condamnés. [...] D'ailleurs l'inhumanité du procédé m'apparut dans toute son horreur; l'avenir montra que cette mécanisation poussait les juges plus facilement à la condamnation.

le frère Rousseau, le nez dans le ruisseau

8 étoiles

Critique de Bertrand-môgendre (ici et là, Inscrit le 9 mars 2006, 68 ans) - 2 avril 2007

Ah ! Enfin une écriture plaisante à l’oreille, sirotant quelques savoureux délices de la langue française. Une mauvaise tournure dès la première page ("la république sait reconnaître ses penseurs, mais c’est quand ils sont morts") confirmée par le groupe de LU, m’indispose quelque peu un instant seulement car vite oublié par l’avalanche d’agréables « joliesses » grammaticales.
Cette anicroche prédisposait le thème à une sévère critique du beau parti Rousseau ennoblit par nos pairs, déifié par les inconditionnels chercheur de vérité, obnubilés par la compréhension de la nature humaine. Car Rousseau est un gros morceau. Rousseau pacifie les esprits autant qu’il les dérange dès lors qu’il sollicite plus d’humanité dans les rapports sociaux, de justice, de simplicité.

Son frère François, vit dans l’ombre tel le contraire à ses principes d’authenticité, usant du mensonge et de la violence pour connaître luxe et artificialité des rapports superficiels. Ainsi dépeints, les personnages de cette famille Rousseau nous entraînent dès la prime enfance genevoise, dans une ambiance dix huitième siècle fort bien décrite, abondamment illustrée d’anecdotes aussi « pompeuses » (p.29) qu’intimistes (le dépucelage du héros avec la bergère Denise). Que dirait-on à notre époque, de ces femmes couveuses de marmots, épancher sans ciller, la ferveur précoce d’un garçon de six ans ? (j’émets là tout de même, un soupçon sur la cohérence des propos).

Les recherches fouillées sur le quotidien d’une époque si lointaine (mais très documentée), donne à l’ouvrage le ton de la véracité des images induites. Le scandale dénoncé par l’association de « l’enfant bleu », et ici relatée par Stéphane Audeguy, n’est pas une honte contemporaine, mais bien une réalité ancrée dans les mœurs depuis que l’homme vit en société ; déviance ancestrale liée aux perversions sexuelles de notables fortunés, d’aristocrates agissant dans l’ombre sordide des faussetés maladives dues à leur rang.

Au fur et à mesure que s’éloignait la présence de Jean-jaques , s’érigeait peu à peu le priape magistral dans la vie mouvementé de François : je perdis quelques instant le goût de la lecture. Cette débauche d’ambiance orgiaque, loin d’être scabreuse atténua le propos rondement élaboré, musela la joie première ressentit lors de la partie « enfance » de l’ouvrage.
Je dois reconnaître que l’auteur est une vraie plume littéraire. Vieux jeu pour certain, nécessaire pour moi dans l’espace culturel livresque (pauvre à mon goût), permettant de dévoiler toutes les richesses de la langue française. Comme du Boucheron m’enthousiasma avec l’utilisation d’un vocabulaire précis, riche, Audeguy agrémente ses lignes de propos élaborés, façonne ses phrases à la manière d’un artisan modeleur, raffine son œuvre par de délicates pointes d’extase « à la française ».

Le rebondissement arrive alors lorsque l’Adam cloacal et l’Hercule libertin devinrent les objectifs prioritaires de la vie de notre horloger voyageur, obstiné par cette lubie du mouvement perpétuel, recherche destinée malheureusement ici, à la luxure.

La révolution française initiée par le peuple passe aussi par le mouvement de libération de la femme. François trouve après Paris (tenancière d’une maison de con-plaisance), une nouvelle compagne la fameuse Sophie. Sophie active la révolte des femmes, d’une main de fer, prenant à parti (j’ai bien dit « à ») les hommes encore très arriérés dans leur idées égalitaristes. A ce stade du récit, il est impressionnant de constater que du dix huitième siècle à nos jours le statut de la femme a certes trouvé quelques améliorations mais, restent d’actualité, certaines injustices nuisibles au bon fonctionnement de notre société « moderne ». Sophie, drapeau tricolore porté haut, ressemble à cette Marie-Anne républicaine haranguant le peuple au dessus des barricades révolutionnaires en chemin vers la liberté.

François Rousseau vécu sans laisser de trace. Jean-Jacques vit encore dans la mémoire collective.
François invente un système genre mécanique perfectionnée (mue pour procurer du plaisir) dont les ressorts en mouvement ne peuvent rien d'autre, sinon donner du bestial plaisir, sans jamais y affecter de sentiments quelconques.
Jean-Jacques adopte un système tel une anthropologie qui met en place les ressorts de l’action humaine, ses principes. Ainsi il se rapproche de la vérité quand il écrit dans le deuxième dialogue « la sensibilité est le principe de toute action. Un être quoique animé, qui ne sentirait rien n’agirait point car où serait pour lui le motif d’agir ? »

Lisez le pour connaître un beau moment littéraire. Si l’ennui vous gagne, persistez et surtout n’abandonnez pas, vous risqueriez de passer à côté d’une belle prose.(bertrand-mogendre)

une correction aux Confessions

8 étoiles

Critique de Alma (, Inscrite le 22 novembre 2006, - ans) - 26 février 2007

Ce récit prend tout son sens quand on le relie aux CONFESSIONS de Jean-Jacques Rousseau auxquelles il renvoie régulièrement .

Son narrateur, disparu dès les premières pages des CONFESSIONS, se réintroduit dans la vie de son célèbre frère "Quant à ton frère François, tu ne le mentionnais que trois ou quatre fois . Pour un homme qui prétendait dire la vérité toute entière, tu te faisais d'elle un image bien singulière, à telles enseignes que je pensai qu'il serait plaisant d'administrer à ces pompeuses confessions la correction qu'elles méritaient " écrit-il à la page 5 .
Il comble les vides du récit de son frère en relatant les difficultés du couple Suzanne /Isaac Rousseau et démythifie ainsi quelque peu l'image du père donnée par Jean-Jacques . Il avoue sans vergogne être l'auteur de la détérioration du peigne de Mademoiselle Lambercier et jette un regard ironique sur cette scène fondatrice pour la personnalité de Jean-Jacques, emboitant ainsi le pas aux premiers lecteurs des CONFESSIONS " Cette historiette, en faire une histoire ? Tes anciens amis, les Encyclopédistes se moquaient de toi "

C'est par opposition à Jean-Jacques qu'il assimile aux "plats raisonneurs qui prétendent paraître devant elle en sages " qu'il se définit . Lui, n'écrit pas pour répondre à des attaques, pour se justifier ou paraître vertueux . Il ne se confesse pas; il relate sa vie, celle d'un"débauché patenté" à qui le titre LES CONFESSIONS déplut parce qu'il "puait la sacristie et l'encens refroidi " Son récit, à lui, dégage une odeur de libertinage, bien dans la tradition des récits licencieux du 18e siècle dont s'inspire Stéphane Audeguy .

Toutefois, à ce frère qu'il n'a guère apprécié dans sa jeunesse, il rend un réel hommage en le présentant comme un des esprits novateurs dont se sont réclamés les révolutionnaires, dont il juge d'un oeil amusé les excès d'admiration qu'ils portaient à Jean-Jacques

A toi, François l'inconnu

6 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans) - 4 janvier 2007

"(...)mon frère tourna si mal qu'il s'enfuit et disparut tout à fait. Quelque temps après on sut qu'il était en Allemagne. Il n'écrivit pas une seule fois. On n'a plus eu de ses nouvelles depuis ce temps-là, et voilà comment je suis demeuré fils unique."

Les deux derniers mots de cet extrait des Confessions de Jean-Jacques Rousseau donnent naissance à un titre, un roman, un long texte de Stéphane Audeguy qui décide de rendre vie et hommage à ce frère, François Rousseau, méconnu et oublié de tous, en lui inventant toute une existence.
Prétexte pour l'auteur à de longues digressions sur la condition sociale au 18e siècle, notamment celle de la femme, et sur des balbutiements démocratiques encore trop souvent frères de la torture et de la censure.

On sait très peu de choses de François Rousseau, si ce n'est qu'il vît le jour le 15 mars 1705, fréquente les maison de correction à 13 ans avant de devenir apprenti horloger et de disparaître un beau jour. La dernière lettre envoyée par François à sa famille l'est de Fribourg en 1739.
C'est peu et beaucoup à la fois pour créer un roman autour de ce personnage. Peu parce que la parcimonie des informations disponibles oblige l'auteur à chercher; beaucoup parce que justement, ces recherches pour créer offrent de multiples pistes à Stéphane Audeguy.

Si l'idée est intéressante, je reste frileuse face au traitement qui lui a été appliqué. Trop de détails alourdissent le texte et les nombreux passages relatifs à l'érotisme et au libertinage de François Rousseau finissent par lasser et ne plus ressembler qu'à des accroches pour capter l'attention du lecteur. Pas efficace en ce qui me concerne, l'excès nuit en tout. J'aurais préféré un texte plus court, moins chargé, avec une langue plus vivante, davantage de dialogues et de spontanéité dans le personnage de François Rousseau, un être présenté comme libre et atypique.
L'écriture est certes élégante, le vocabulaire travaillé mais il demeure une impression de texte figé et parfois peu crédible, par exemple lorsque l'auteur prête une maturité, tant sexuelle que psychologique, qui dépasse toute espérance, à un enfant âgé de sept ans, dont les servantes de sa mère contentent une libido exacerbée. Décalage entre l'âge du protagoniste et les propos tenus; il en va de même à la fin lorsque arrivé au crépuscule de sa vie, âgé de 91 ans (ce qui est remarquable pour l'époque!), François Rousseau contemple la vie avec une certaine naïveté empreinte d'un cynisme qui ne correspond pas vraiment à l'idée que je pouvais me faire d'un homme ayant tant vécu.
Heureusement, il existe une toile de fond intéressante et documentée sur la république de Genève, sur la révolution française, sur la Terreur et une certaine idée des droits de l'homme. Pas assez pour donner au roman le label "roman historique", mais suffisamment pour planter un décor de manière rigoureuse et bienvenue.
Un livre intéressant mais qui ne m'a pas emballée plus que cela, je lui reconnais certaines qualités et aussi pas mal de défauts. Un bon point tout de même: j'ai apprécié la manière avec laquelle Stéphane Audeguy, à travers le personnage de François, démythifie Jean-Jacques Rousseau. C'est cynique et souvent bien vu.

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