Que faire des crétins?
de Pierre Larousse

critiqué par TELEMAQUE, le 31 octobre 2006
( - 76 ans)


La note:  étoiles
Il y a toujours une solution
Eussiez-vous, messieurs BUSH et POUTINE lu ce livre que vous ne vous fussiez pas jetés, qui dans l’aventure Afghane, qui dans le bourbier Tchéchène. On y apprend, page 139 à l’article Tchetchenses, que « deux chefs, Ouma-Doniev et le kadi Atabaï, se sont mis à la tête de bandes armées et ont fait éprouver aux Russes des pertes assez considérables », et que –à la rubrique Afghanistan- le régime politique de ce pays est défini en deux mots « : c’est un féodalisme compliqué d’éléments fédératifs ».
Ces extraits d’articles publiés à la fin du XIXème siècle dans le dictionnaire encyclopédique Larousse, sont restés actuels, comme d’autres considérations sur les mœurs de l’époque, politiques notamment, et d’autres opinions qui ont survécu, grâce à leur caractère intemporel et à la difficulté qu’a l’homme « d’amender sa raison ».
L’auteur, Pierre Enckell, journaliste et lexicographe a, pour nous –et pour une science qui ne serait pas ruine de l’âme, et la beauté du geste- épluché les 24033 pages de ce dictionnaire et en a extrait 365 perles, « brefs passages…témoignant…d’un regard particulier sur les humains, les choses et les idées sous le Second Empire et les débuts de la Troisième République ».
Sa courte introduction dont j’ai extrait la précédente citation explicite sa méthode, resitue l’œuvre dans le contexte socio-historico-politique (hystérico-politique ?) et nous fait entrevoir la permanence des opinions que véhiculent les lieux communs.

Tout y passe, avec pour fil conducteur l’irremplaçable supériorité que les Lumières, la Révolution et les Droits de l’Homme ont donné à la grande Nation française sur ses voisins, Belges compris :

« dans les cavernes de la Belgique vivait une population brachycéphale au crâne petit, au front fuyant, à la face prognathe » tandis que « les fossiles des Eyzies…prouvent que les Troglodytes du Périgord avaient une haute taille…et un crâne remarquablement développé ».

Chaque article cité est précédé d’une savoureuse interrogation de l’auteur, sorte de problématique à laquelle Mr Larousse et son armée de collaborateurs répondaient avec la bonne foi et les inébranlables certitudes que procuraient le scientisme, enfant bâtard du positivisme, lequel servait de fond idéologique à cette époque. Les utopies de cette fin de siècle nous permettent de considérer avec circonspection certaines prospectives avancées de nos jours par les « experts », les « je sais tout » qui sévissent dans nos débats et s’invitent sur les plateaux de TV ou les colonnes des journaux.

Bien des affirmations et des définitions paraissent aujourd’hui surréalistes –l’article « arrosoir » page 152 par exemple-, et rien ne permet plus après la lecture de ce livre de douter qu’Alphonse Allais ou Pierre Dac, deux auteurs dont les inventions, pensées et aphorismes ont bercé ma jeunesse, y aient trouvé une source d’inspiration féconde. Quant à Jules Verne il avait sans doute retenu la définition de l’aérostat :

« Pour lutter contre l’air, il faut être spécifiquement plus lourd que l’air. L’hélice, mue par la vapeur (sic) tel est l’organe mécanique qui nous promet une conquête vainement poursuivie jusqu’ici. Grâce à l’hélice, nous pénètrerons dans le domaine des vents, non plus en esclaves, mais en maîtres. A la place de l’aérostat nous voulons créer l’aéronef, l’hélicoptère, qui sera un appareil nageur (re sic) s’élevant et se dirigeant par sa propre force ».

Mais il faut admettre aussi, hélas, que cette source d’information, le dictionnaire encyclopédique, a créé, nourri, entretenu des préjugés, des a priori qui ont façonné l’opinion et englué toute une époque dans des justifications pseudo scientifiques, excuses et prétextes au colonialisme, à l’antisémitisme, aux racismes de tout poil et autres certitudes qui ont engendré ces idéologies nauséabondes, favorisées par le conformisme qu’encourage l’illusion scientifique.

Qui ont alimenté en « bien penser » ceux que Sartre appelait dans la Nausée les salauds.