Laëzza
de Mohammed Dib

critiqué par Sahkti, le 29 août 2006
(Genève - 49 ans)


La note:  étoiles
Juste avant de mourir
Mohammed Dib est décédé en mai 2003, juste après peaufiné ce "Laëzza" si riche, si démonstratif des multiples facettes de cet écrivain algérien.
Mohammed Dib s'est longtemps interrogé sur ce qui compose la société, la nôtre, la sienne, et a tenté d'en explorer tous les visages, avec soin, en profondeur et tant pis si ça passe par l'exhumation de douleurs et de souffrances. Ce recueil n'échappe pas à la règle avec le texte "El condor passa" et l'affrontement entre traditions et souffrances, un thème cher que l'on retrouve aussi, entre autres et par exemple, dans un autre livre de l'auteur "Si Diable veut".
Avec la partie intitulée "Autoportrait", Dib parle de lui et ses attitudes, de ce qu'il voit et tend, de ce qu'il constate, des souhaits qu'il formule pour que le monde aille mieux et change, ne serait-ce qu'un peu. Mohammed Dib aborde également ses origines, son rapport à son pays et à la France. En le lisant après son décès, il y a comme qui dirait des accents de testament, de message laissé pour le futur.
Vision touchante, lucide, très sincère d'un homme qui ne manque pas d'humour et donne leur juste valeur à des notions telles que confiance, respect et amitié. Une fois de plus, j'ai été touchée par son ouverture d'esprit et sa grande humanité.
Quatre nouvelles. 8 étoiles

Quatre nouvelles ? Non, en fait deux nouvelles : « Laëzza » et « El condor pasa » puis un catalogue de considérations, de pensées de l’auteur ; « Autoportrait », qui remplit parfaitement ce rôle d’autoportrait d’ailleurs et un petit chapitre de révélations sur des étapes importantes, « Rencontres », les rencontres que Mohamed Dib estime avoir été importantes pour le modelage de l’homme qu’il est devenu. Les deux dernières parties ; « Autoportrait » et « Rencontres » pouvant être prises comme un testament, d’autant qu’il s’agit de la dernière œuvre écrite par Mohamed Dib.
Ce sont ces deux parties que me paraissent les plus passionnantes du recueil.
Sur « Laëzza », la nouvelle éponyme, Mohamed Dib s’exprime en postface via Claire Delannoy :
«Deux jours avant sa mort Dib m’a téléphoné pour me parler de « Laëzza », manuscrit qu’il venait de terminer mais dont il ne pouvait encore se déposséder. Vous allez être surprise par mon héroïne, me disait-il en riant, un top model qui porte des piercings et qui drague les hommes … »
De fait, on est surpris par cette histoire de jeune femme très libérée dans une relation éphémère avec un jeune homme. Relation aussi fusionnelle que fulgurante que Mohamed Dib nous raconte du début à la fin. Ca m’a paru, en effet, fort différent du registre usuel de Dib.
« El condor pasa », elle, a été retrouvée après sa mort et a été ajouté aux trois autres. Une étrange nouvelle qui parle de l’Algérie, qui parle de relations d’homme, de folie ou de ce qui pourrait l’être. C’est effectivement très étrange.
Plus essentiels m’ont paru « Autoportraits » et « Rencontres ».
« Autoportraits » fait penser à des pensées à la « Cioran », empilées les unes sur les autres, mais pas absconses à l’image de la comparaison effectuée, assez explicites et très révélatrices de l’homme Dib et de sa pensée profonde. Probablement beaucoup plus complexe que ce que sa lecture pouvait laisser entrevoir, à mon sens au moins. Un extrait, la n°10 :
«Chez les Arabes, l’habitude est, depuis trop longtemps, prise de se prosterner, le front dans la poussière, pour qu’ils perçoivent l’état du monde autour d’eux et réalisent que la caravane est en train de passer, qu’elle est déjà passée – on aurait bien voulu dire, le dernier métro, mais quel métro ? – et qu’eux sont toujours là, le front toujours dans la poussière.
Cela n’est plus tout à fait vrai pour les musulmans non arabes. »
Et elles sont nombreuses et variées, sur maints sujets. Je ne résiste pas à citer également la n°28 (il y en a 90) :
« Le spectacle de ces intellectuels d’Europe auxquels on fait un enfant dans le dos et qui continuent de disputer du sexe des anges, pensant être ainsi dans, sans doute, la filiation directe des grands Grecs, dont ils croient reprendre et poursuivre les joutes oratoires, sans se rappeler que ces Grecs occupaient des fonctions, avaient des responsabilités dans la cité. »
« Rencontres » enfin nous plonge dans son enfance, dans cette Algérie, à Tlemcen, encore française avant que ne commence les tragédies à venir. Elles concernent pour l’essentiel quelques rares français qui s’intéressaient aux « indigènes », des instituteurs pour la plupart. Un éclairage intéressant sur ce que pouvait être la réalité de la présence française en Algérie, « avant », et vu par un autochtone.
Un éclairage particulièrement intéressant de l’homme Dib.

Tistou - - 67 ans - 18 juin 2010