Le testament de Vénus
de Enzo Cormann

critiqué par Feint, le 7 août 2006
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Renouveau du picaresque
Le testament de Vénus est à ma connaissance le premier roman d’Enzo Cormann, connu surtout pour son théâtre, publié aux éditions de Minuit. Comme le titre l’indique, le roman se présente sous la forme d’un testament. Comme le titre ne l’indique pas, le narrateur est un homme, et ne ressemble pas de façon frappante – c’est peu dire – à la divinité romaine qui lui sert de prête-nom, à la suite d’une péripétie que je vous laisse découvrir.
Elles sont nombreuses, les péripéties, dans Le testament de Vénus, lequel manifestement renoue avec la tradition du roman picaresque, remise au goût du jour d’une manière à la fois intelligente et sensible. Le récit est mené à la première personne par un narrateur aux noms – voire aux identités – multiples (« Je, soussigné Vénus, cinquante-cinq ans, né le 25 avril 1947 à Presques, enregistré à l'état civil sous le nom de ma mère, Fayard, et prénoms Paul André Félix, rebaptisé par amusement public ou méchanceté soiffarde, Bâtard, 'Tit Gris, Microuille, Grésil, j'en passe, et par folie, Vénus… ») qui nous fait le récit de sa vie. Si les noms sont nombreux, c’est que les situations aussi, et c’est au gré d’un parcours sinueux que le narrateur les collectionne. Comme tout héros picaresque, c’est un homme de peu, né orphelin d’un amour illicite entre sa mère, toute jeune et fille de meunier, et son père « non connu », employé maghrébin du dit meunier, assassiné avant la naissance de son fils. L’enfant de la campagne deviendra un petit voyou parisien, rencontrera l’amour une première fois, puis la prison, une première fois là encore, puis l’hôpital psychiatrique ; il se fera même baroudeur professionnel en Afrique avant de commencer à comprendre que sa vie ne prendra sens que dans l’art – l’art brut de l’Artiste Général – (le récit s’interrompt régulièrement pour laisser place à l’évocation des « œuvres » – le terme est impropre – inspirées par l’épisode qui vient d’être raconté) et dans un retour à soi-même dont il faut laisser le lecteur découvrir la forme.
Autant que par le parcours exemplaire du héros, le récit vaut par la langue raboteuse et croustillante du narrateur :
« Suivirent de belles années pour les trois vauriens. Le soussigné comptait chaque matin ses nouveaux poils aux pattes et mesurait ses bandaisons à l'aide du mètre de couturière de sa mère. L’œil et le crin fonçaient, virant du pâle au brun queue-de-vache. Ses pantalons toujours trop courts mettaient en évidence ses longs tringlots chaussés de mocassins rouges, piqués à un Rital. Aux terrasses des cafés, il fumait des blondes et corsait ses limonades avec des rasades de gin tirées d'une fiole de poche. Il distribuait plus de coups qu’il n’en recevait, arborait ses cocards comme on montre les dents, sifflait les filles, séchait les cours, et donnait du « vieux » à ses potes. Une photo d’alors le montre en pied, posant cigarette au bec, adossé à un réverbère, pouces dans les poches et l’œil mauvais. »
Un roman qui tranche sur ce qu’on nous dit de la production française contemporaine.