Les huit cahiers de Heloneida Studart

Les huit cahiers de Heloneida Studart
( Selo das despedidas)

Catégorie(s) : Littérature => Sud-américaine

Critiqué par Jlc, le 31 juillet 2006 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 8 étoiles
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Le roman du désastre d'une famille

Heloneida Studart est brésilienne, militante politique emprisonnée par la dictature militaire, aujourd’hui députée du parti de Lula et toujours combattante de la cause des femmes.

Son roman « Les huit cahiers » est un livre sur les femmes et leurs familles, un livre pour les femmes que les hommes auront grand intérêt et plaisir à lire.

A Rio, de nos jours, Mariana, brillante avocate, reçoit huit cahiers interdits écrits par sa tante Maria das Graças au début des années quarante. Elle vient de se suicider avec dans les mains la photo de son seul amour et au cou un collier de perles, signe familial de célibat. En effet, à chaque génération, une des filles est préparée au célibat dans le but de servir plus tard sa vieille mère. Ces cahiers racontent l’histoire de la famille, le rôle dictatorial des mères, l’insignifiance des hommes, l’influence de la religion, les conflits ouverts ou larvés et aussi, à chaque génération, la révolte d’une d’entre elles. Il y eut d’abord, Barbara, républicaine et abolitionniste de l’esclavage. Puis Francisca Clotilde qui osa publier, au début du vingtième siècle, un roman qui lui valut le mépris de sa famille, l’abandon de son mari, l’anathème de la société, la perte de son emploi de professeur. Et enfin Maria das Graças qui veut suivre les traces de ses aïeules révoltées écrire, aller à l’Université et travailler et à qui le directeur spirituel de sa mère dira : « Dieu n’a pas donné du talent à une femme pour qu’elle publie ses pensées. »
Maria a deux sœurs, la belle et joyeuse Melba et Mimi qui rêve d’acteurs américains en mangeant des chocolats. Maria aime Cid en cachette quand elle apprend par Mimi que le garçon a une relation avec Melba. L’affaire s’ébruite (je ne vous dirai pas comment) et après l’humiliation de la vérification médicale de la « défloration récente », Melba est condamnée au couvent par ses parents, c’est à dire à la mort lente. Maria das Graças reste fidèle à son seul amour mais refuse le rôle de servante de sa mère.
Mimi épousera un homme falot dont elle aura deux filles, Leonor, la préférée, à qui elle donne tous les beaux bijoux de famille et Mariana qu’elle prépare au célibat ; elle lui a d’ailleurs offert un collier de perles- de culture. Elle échoue cependant dans ses entreprises quand sa préférée fait un mariage qu’elle désapprouve alors que Mariana, qui n’a jamais oublié son amour de jeunesse, Vasco, disparu dans les supplices de la dictature, épouse un riche armateur.

Le récit de Maria das Graças se conjugue avec le temps présent et l’histoire des deux sœurs. Il y a correspondance entre Maria et Mariana, toutes deux initialement vouées au célibat, toutes deux fidèles à un premier amour, toutes deux voulant écrire, toutes deux voulant faire leur vie indépendamment de leur famille. Il y a l’opposition entre les sœurs, Mimi et Maria ou Leonor et Mariana. Il y a la concordance des temps quant au rôle de la famille et particulièrement celui des matriarches, ces femmes qui régentent fermement leur maison. Il y a enfin la constante de la médiocrité des hommes. Le mari de Barbara est dépeint comme éteint et insignifiant, celui de Francisca Clotilde la quitte quand elle ose publier son livre, le père de Maria, Mimi et Melba est un lâche qui se cache sous des rodomontades favorables à Hitler, Alfredo, mari de Leonor, n’est qu’un sinistre intégriste et Bento, époux de Mariana, reste un inconnu pour sa femme. Quant aux autres hommes qui traversent le récit, Beto, l’amoureux transi de Leonor, est un peu fou, le docteur Ivan, amoureux de Mariana, un faible et l’inspecteur Miltano …Je vous laisse découvrir son portrait et son rôle. Quelle galerie de portraits !!

Ce livre écrit par une femme parle très bien des femmes en décrivant crûment leur sort dans le Brésil du vingtième siècle. Ces femmes qui sont perdues si elles perdent leur virginité avant le mariage, ces femmes qui ne doivent pas avoir d’autre horizon que celui de leur famille avant un jour d’en ordonner la marche. Ce sont les mêmes qui, pour avoir tellement façonné les hommes qu’elles ont mis au monde, leur laissent une marque indélébile et castratrice. Ces femmes sont belles quand elles aiment, quand elles se révoltent, quand elles se battent.

C’est le roman du désastre d’une famille. Là aussi Heloneida Studart est impitoyable dans ses descriptions, quand elle parle du lien entre les deux sœurs qui n’est certainement pas de l’affection mais plutôt « une souffrance commune ou un sentiment de culpabilité partagée ». Ou encore lorsque Maria das Graças écrit : « La justice pour la femme est celle de la famille. La famille emprisonne, juge et condamne. » Nous sommes en 1944. Les choses ont-elles tant changé ?
Enfin derrière ce désastre il y a la haine, celle « des humiliations du lit et de la vie », cette haine « froide, coagulée, dure » qui « grandit dans le silence des mariages ratés ». La tendresse ne se trouve que chez lles servantes et les nounous pour qui l'affection ll'emportera toujours sur les convenances.
L'auteur montre bien que les histoires d’autrefois et celle d’aujourd’hui se recoupent, se répètent, s’entrelacent pour mieux se perpétuer dans des temps différents. « J’ai seulement vingt ans mais je sais déjà que la douleur est préférable au néant » écrit Maria das Graças. Mariana le pense encore cinquante ans plus tard.

J’ai lu ce livre dans le cadre du fuseau « Parlons plus des livres dont on parle peu » et c’est une très agréable découverte. Le style n’est pas flamboyant mais efficace, l’intrigue bien menée.
Si vous aimez les histoires de famille, si vous pensez que la cause des femmes est encore loin d’être gagnée, si vous savez percevoir les petits morceaux d’espoir par delà le tragique, si vous vous laissez envoûter par le charme du Brésil et le mélange des temps, ces cahiers, j’en suis sûr, vous apporteront un réel plaisir de lecture. Et un peu plus.

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