Fou trop poli de Eugène Savitzkaya

Fou trop poli de Eugène Savitzkaya

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Kinbote, le 30 juillet 2006 (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (13 084ème position).
Visites : 3 761  (depuis Novembre 2007)

Retour de folie

« Le fou revient à la charge... » Ainsi débute ce nouveau livre de Savitzkaya qu’on déguste comme un plat de mots qui ont à voir avec la terre, le corps, la famille, Liège et Bruxelles, la Russie et la Pologne. Une soupe nourricière de mots tirés du dictionnaire, à partir duquel le fou écrit quand il ne jardine pas, fabriquant son manger et son boire, sa propre culture, comme si c’était là l’ultime forme de rébellion (héritée de son père, de ses ancêtres) contre la violence du monde gouverné par l’Homme avide à l’endroit de l’individu, de l'exception.
« Dans les salons des institutions et dans les salons de banque, on sait ce qu’attend le public, quels films on ne peut pas faire, ce qu’il ne faut pas écrire, ce qu’il ne faut pas peindre, ce qu’on ne peut pas dire, ce qui n’intéresse personne, ce qui ne produit aucune sapèque. »

« Le fou se remet au mensonge. Il songe. Le fou se remet au roman... »
Autobiographie aux fèves et aux bettes, argile du souvenir, fumier de la mémoire qui produit les fleurs de l’imaginaire, obsession du nombre - de jours, de patates : « le nombre hypnotise, le nombre de patates plus qu’un autre »

« Il festoie toute la sacrée journée, le fou sur son futon. » Et les objets de fête, il les trouve dans son environnement proche ; la vie matérielle est pour lui une source d’émerveillement et de célébration continuelle. Et font partie de la fête, tel le feu d’artifice la clôturant, les lettres qui font les mots, les lettres qui d’un mot à l’autre du dictionnaire créent l’écart signifiant, la différence singulière : :« A force de fréquenter les lettres, le fou est devenu eumolpe »

« Je me souviens de tout. Pas un mot ne manque, pas un geste. (...) J’ai dû me protéger de tout. J’ai appris à mentir. J’ai fait le mort. J’ai fait en sorte de n’être qu’un cadavre animé, me séparant de mes peaux, de mes cheveux, de mes dents, de mes ongles, de ma mère, de mon père, de mes frères, de mes sœurs, empilant sous moi des jours et des jours."
Livre des pertes, des amputations, toutes opérations vécues cependant dans la joie lucide, celle des métamorphoses des plantes du potager. « Tout est délice » mais aussi « tout est sombre », « les seins sont des citrons, ils sèchent et se figent à jamais. »

C’est vrai que le Fou civil, trop poli, sorte de « cochon farci » de « sang de chien » et d'encre, pourrait-on dire en citant quelques-uns de ses ouvrages, alimentant cette « folie originelle » qui fait sa singularité, se prépare dans ce livre à fêter son demi-siècle. Et bientôt trente années d’écriture sans précédent.

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L'enfance, toujours

9 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 49 ans) - 17 mars 2008

Eugène Savitzkaya est un auteur complexe et complet. Ce roman l'atteste, regroupant différentes influences, des styles divers et se faisant le reflet de l'évolution lente et aboutie d'une oeuvre très particulière. L'écriture d'Eugène Savitzkaya, on entre dedans ou on s'en écarte assez vite. Non pas qu'elle soit à ce point hermétique, mais cette prose poétique peut dérouter. Personnellement, j'aime beaucoup et j'ai retrouvé l'auteur dans ces lignes avec un plaisir non dissimulé.
Une fois de plus, Eugène Savitzkaya aborde le thème de l'enfance, sujet qui lui est cher et qu'il a exploité de diverses façons, en racontant l'enfant qu'il était ou bien en parlant de sa propre descendance, par exemple.
Savitzkaya se replonge dans son enfance, avec recul, observant rétrospectivement ses souvenirs qu'il situe, dans le temps et l'espace, ce qui n'est pas le cas dans la plupart de ses textes, me semble-t-il.
J'aime la manière dont les éléments sont disposés, se croisant et se décroisant, construisant un édifice fort et fragile à la fois, déposé sur les fondations de la mémoire avec toute l'émotion qu'une telle entreprise peut comprendre (il en est ainsi dans cet hommage rendu à sa mère, deuil jamais abouti).
A cela, on ajoute des allusions ou des références faites à d'autres ouvrages ne traitant pas de l'enfance. C'est ainsi toute l'oeuvre d'Eugène Savitzkaya qui est revisitée et c'est du bonheur.

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