Un oiseau blanc dans le blizzard
de Laura Kasischke

critiqué par Darius, le 16 juillet 2001
(Bruxelles - - ans)


La note:  étoiles
Une disparition bizarre
Ce livre d’une chronique familiale m’a littéralement envoûtée. Presqu'un huis clos puisqu'il se déroule exclusivement dans la demeure d'une famille américaine moyenne composée du père, d’une mère qui ne travaille pas, mais qui se volatilisera littéralement par une journée de janvier et de la fille Katrina qui n'en est même pas émotionnée.
C’est que cette mère, malgré sa disparition, ne laisse pas un très bon souvenir dans la tête de sa fille de 16 ans : maniaque jusqu’à passer son temps à briquer sans cesse la maison avec tous ces produits hautement toxiques qui aseptisent, frustrée par un mari épousé "pour se caser", méchante avec sa fille qui ne lui ressemble guère car trop grosse, cheveux raides, peu soignée.
Jalouse de sa fille qui, malgré ses kilos superflus et son aspect boudiné dans ses robes de bal rencontre un garçon du lycée. Une première aventure amoureuse qui ne réjouira pas sa mère qui, insatisfaite comme la Madame Bovary de Flaubert, par un mari décrit comme "transparent" et sans surprise n'appréciera pas que sa fille, grosse et moche, prenne du bon temps...
Bizarrement, après la disparition inopinée de cette "mauvaise" mère, Katrina, sa fille, perdra du poids, se transformera en une jolie fille sur laquelle on se retourne dans la rue, à qui on fait des compliments et qui décide de se lancer dans des aventures avec de "vrais" hommes. Tout le monde comprendra ce que je veux dire par "un vrai homme": installé dans la vie, de la maturité, des poils partout, un air conquérant, longue expérience des femmes.
Pourquoi pas cet inspecteur au nom imprononçable qui enquête sur la disparition de sa mère ?
Et voilà notre Katrina, malgré son jeune âge, embarquée dans une aventure qui la ravit...
C’est cet inspecteur, bien malgré lui, qui lui ouvrira les portes du secret de la disparition de sa mère, évaporée un beau jour, sans bagages, sans argent, sans papier, sans que personne ne l’ait vu sortir de la maison...
Incidemment, il lui raconte que lors de la disparition d’un enfant de 3 ans, la mère a rêvé d'une camionnette qui démarrait. A force de concentration, cette mère parviendra à aligner dans sa tête les chiffres de la plaque d'immatriculation. La police n’aura plus qu'à localiser le véhicule qui livrera son secret : le gamin étouffé par le lait, les hoquets et les pleurs... Interrogée, la mère dira que son fils l'appelait...
Katrina fera de même avec sa mère. Elle entend comme dans un rêve, celle-ci lui dire "je suis là"... Je ne vous dévoilerai pas la fin du bouquin..
Je ne sais si ces phénomènes paranormaux sont une réalité. J'aimerais l’espérer...
Cette histoire troublante nous est racontée comme un polar. Il m'arrivait de m'éveiller la nuit pour poursuivre sa lecture. Si son autre bouquin est de la même veine, j'ai hâte de le lire. Il s’intitule "A suspicious river", cela veut tout dire..
Assez féroce.. 8 étoiles

Deuxième lecture de cette romancière , ce n'est pas suffisant pour en parler vraiment.Je ne comprends pas bien qu'on la compare à Joyce Carol Oates , elles ont un style complètement différent. Le style d'écriture de Laura Kasischke est sec, froid, quasi privé d'émotions ( et pourtant elles existent ..) et presque clinique dans l'observation des personnages. Elliptique, et les images métaphoriques abondent.

La neige a fondu et la boue s'est mise à vivre. Les arbres et les tulipes , les rats musqués et les opossums la sucent avec un bruit de sangsue, comme une créature qui donnerait la vie à tout un univers- un bruit de lactation, de fluide corporel, de membres qui nagent, pendant que dans la gadoue quelque chose de gluant et poilu lèche ses petits encore aveugles d'une longue langue râpeuse.



Dans le jardin, il y a des centaines , des milliers de bébés serpents, de petites créatures sexuelles qui se tordent et sucent des nids mouillés pleins d'oeufs brisés; les pousses fraîches des nouvelles feuilles dans les arbres s'ouvrent au-dessus de ma tête, encore humides et repliées en petites boules foetales. Je suis pieds nus, je lève les yeux vers le ciel, qui s'est mis à verser une pluie grise et grasse, puis je regarde le sol, vers ces serpents qui maintenant se mangent la queue. C'est alors que je remarque ma mère.

Elle est sous mes pieds et tente de sortir à coups de griffe du sol qui dégèle. Nue, tordue, elle vient au monde et s'assoit. Ce sont ses cheveux que je vois d'abord, pleins de la boue neigeuse de janvier. Elle essuie la boue qui lui couvre les yeux , elle me regarde et me dit : " Je suis heureuse d'être en vie".


Récit d'un rêve de Kat , à la fin du livre, le monde qui l'entoure va commencer à être moins blanc.

L'histoire, vous l'avez racontée, la disparition brutale d'une femme dans une famille américaine lambda. Kat avait 16 ans, et puis les années passent , et toujours aucune nouvelle.

Kat, dit-elle, je vous ai posé une question. N'êtes vous pas surprise qu'elle ait pu tenir si longtemps sans vous faire un seul signe?

Cher docteur Phaler, vous qui êtes si jolie.
Cher ange de naïveté.
Cher ange des questions stupides.

Cela fait un an que son caractère prévisible, que sa foi en la simplicité et en la banalité de l'âme humaine m'intéresse, me surprend et m'insulte..
" Non, dis-je en secouant la tête. Je ne suis pas surprise du tout. "


A part cela, ça parle de peau , et de regards , enfin de ce qu'on veut bien voir car regarder n'est pas tout. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien si une voisine aveugle jouera un si grand rôle dans la résolution de l'énigme de la disparition.

C'est très féroce, sans aucune concession pour quiconque , et même si on se doute un peu (Laura Kasischke sait semer les indices , mais elle s'adressait là à une lectrice de nombre de romans policiers qui sait les repérer très vite !) de la fin, cela n'a aucune importance. Ce qui importe, c'est que Kat , dans ce très triste huis clos familial, ait réussi à sauver sa "peau."

Paofaia - Moorea - - ans - 2 novembre 2013


Le grand vide 6 étoiles

Janvier 1986, Kat a 16 ans et sa mère a disparu. Elle a « glissé hors de sa peau par un après-midi glacé de janvier »; sa mère qui l'avait appelée Kat parce qu'elle voulait un petit chat...
Kat va retracer sa vie depuis ses plus anciens souvenirs, la banalité, la platitude de cette petite vie dans une bourgade de l'Ohio.
A chaque mois de janvier, un nouveau chapitre, une espèce de mise au point, de compte-rendu de l'année, de ses relations avec Phil son petit ami et voisin, des séances chez sa psychanalyste, le docteur Phaler. A peine étonnée et pas surprise de voir que sa mère ne lui manque pas.

Beaucoup de sensations, ressenties par cette adolescente, d'images, de rêves; une écriture singulière et originale pour décrire son environnement, ce qui lui arrive, même si quelquefois on reste sceptique devant certaines analogies.
"Sa voix était fragile, transparente, comme un morceau de mousseline tendu sur l'ouverture d'un bocal"
"Rechercher une beauté dans une telle vie de banlieue, c'était un peu comme avoir une boule de papier aluminium dans l'estomac, une boule de métal aéré qui vous emplit de faim et de désir."
Un peu désemparée à la lecture de ce roman qui n'est pas classé dans les "policiers" à la bibliothèque et que je considère plus comme l'analyse de la relation entre des membres d'une famille qui vivent sous le même toit mais malgré tout dans une grande solitude, dans les non-dits créant un climat tendu de malaise.
Je n'ai donc pas beaucoup aimé ce livre mais...

Marvic - Normandie - 65 ans - 1 mai 2013


Drôle d'oiseau, un peu blizzard ... 10 étoiles

Ooh, voilà une belle découverte que Laura Kasischke.
Si l'on en croit son Oiseau blanc dans le blizzard, ça promet.
L'horreur cruelle du quotidien, y'a pas d'autres mots.
Le quotidien bien propre et bien blanc des banlieues américaines.
Une maison. Une mère, un père, une fille. Et la haine tranquille qui relie ces trois-là.
Un beau jour la mère disparait et au fil des flashbacks, on va découvrir peu à peu ce qui se tramait sous la surface bien lisse de cette famille trop propre.

[...] On est samedi. Cela fait une semaine et un jour que ma mère est partie. Je compterais bien les heures et les minutes, aussi, mais elle a quitté la maison un vendredi après-midi pendant que j’étais à l’école et que mon père était à son travail. Nous sommes tous deux rentrés chez nous pour trouver une maison déserte. Elle n’a pas laissé de mot, elle n’a pas fait la moindre valise, elle a juste passé ce petit coup de fil le lendemain pour dire à mon père qu’elle ne reviendrait pas, et puis plus rien.

C'est féroce et superbement bien écrit.
L'auteure enchaîne les descriptions à première vue superficielles de leur vie monotone et puis, bang, au détour d'une phrase inattendue le scalpel découpe la surface et s'enfonce bien profond, juste là où ça fait très mal.

[...] Mais cela ne l’empêchait pas de me faire les gros yeux quand je mangeais ces petits gâteaux. « Mon Dieu ! disait-elle quand je mordais dans la poussière douce de l’aile d’un ange. Mais tu grossis d’heure en heure, Kat ! » Voilà, ma mère était comme ça. Et alors ? Nous avons tous eu des enfances merdiques.

Peu à peu, Kat va nous faire revivre son passé, son enfance entre ses parents toxiques, un père ennuyeux et une mère ennuyée. Peu à peu, elle cherchera à s'échapper de cette prison dorée, trop lisse et trop propre, quitte à coucher avec tout ce qui passe à la maison, le voisin affligé d'une mère aveugle ou l'inspecteur chargé de l'enquête sur la disparition de maman.

[...] Notre maison, comme toutes celles de notre rue, a trois chambres – la mienne, celle de mes parents et une chambre d’amis, dont la porte est toujours fermée. Les rares fois où on ouvre cette porte, une bouffée fraîche de naphtaline s’engouffre dans nos poumons, comme si l’ami invité était en fait le passé, enfermé depuis des années, qui essaie de s’échapper.

Oui, la maison de cette gentille famille américaine recèle quelque secret qui finira par s'échapper.
Mais on ne vous dévoile pas la fin, façon polar, tout à fait à la hauteur de cet excellent roman.

BMR & MAM - Paris - 64 ans - 24 juillet 2012


Eblouissant 10 étoiles

Un roman éblouissant de Laura Kasischke, trop jeune encore pour être comparée à Joyce Carol Oates, mais si proche pourtant. Une vision cruelle des rapports humains et, en l’occurrence ici, des relations mère-fille, une narration sublime et inspirée, une construction passionnante qui laisse le suspense s'installer lentement mais si sûrement. Bref, un petit bijou à découvrir.
Un court extrait : "Que Dieu bénisse ma mère, me dis-je parfois, quand je suis allongée de son côté du lit, ce lit qu'elle a partagé pendant vingt ans avec mon père, et que je regarde le plafond, en essayant de l'imaginer de son point de vue à elle.
Elle était tellement méchante. Un cas très classique de ressentiment et d'ambivalence, qui vient cogner et frotter contre l'instinct maternel. L'amour et la haine, en elle, étaient aussi vastes que l'espace – rien que des météorites, pas d'atmosphère."
Coup de coeur, le second en ce qui concerne cet auteur, après "A toi pour toujours".

Bidoulet - - 56 ans - 6 février 2008


j'en rêve encore ! 5 étoiles

Bien sûr, si on s'attend à lire un polar, on est forcément déçu... Comme je n'aime pas les polars, je me suis laissée imprégner par le bouquin. Pour moi, c'est le genre de livre tellement bien écrit qu'il faudra que j'attende un certain temps avant de retrouver une telle sensation...

Darius - Bruxelles - - ans - 24 juillet 2001


Déception... 7 étoiles

Après avoir lu la critique de Darius et avoir vu ce livre classé par critiqueslibres dans la catégorie polars et thrillers, je m’attendais vraiment à autre chose.
L'histoire est telle que l’a racontée Darius (à une exception près : l’action ne se déroule pas exclusivement dans la demeure familiale, nous suivrons l’héroïne chez la psychologue ainsi que dans son kot – mais ce n'est qu’un détail).
Toutefois, sur 320 pages, le suspense est réservé aux quarante dernières.
Le premier paragraphe du livre nous apprend la disparition de la mère.
Pendant les 280 pages suivantes, l’auteur, utilisant à la perfection les flash-back, décrit ce qu'a été la vie de cette famille.
Et en toile de fond, mais de très loin alors, la question est : où est passé cette femme ?
Dommage donc que le suspense n'arrive que tardivement...
Je ne qualifierais certainement pas ce livre de thriller à couper le souffle !
Heureusement, le livre est bien écrit.
Il se lit facilement et procure un agréable moment, sans plus...

Saint-Germain-des-Prés - Liernu - 56 ans - 20 juillet 2001