Malley-sur-Mer
de Anne Rivier

critiqué par Sahkti, le 25 juillet 2006
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Chroniques romandes
Nouvelle rencontre avec Anne Rivier. D'emblée, la photographie de la couverture invite à la détente, à une certaine intimité. Le sourire est accrocheur, la pose détendue… allez, on est entre ami(e)s.

Malley-sur-Mer, c'est un ensemble de chroniques publiées par l'auteur entre 1997 et 2004 dans le magazine romand Domaine public. Des chroniques sur la vie, celle de tous les jours et puis celle qui guide ce monde. Des textes courts (2-3 pages), des réflexions, des états d'âme, des humeurs, des coups de cœur et de sang. Un petit côté Philippe Delerm derrière tout cela, cette manière d'appréhender les choses, de raconter la vie comme elle vient, la rendant douce dans son quotidien et donnant leur importance à ces petits riens qui la composent. Mais ça va plus loin que le style Delerm. Philippe Delerm, c'est joli et gentil, un brin aseptisé, très esthétique (j'aime bien ce qu'il fait, je précise de suite). Ici, il y a une profondeur et une densité qui font toute la différence. Anne Rivier ne se contente pas de faire joli, elle fait avant tout dans le vrai. La vraie vie, les sentiments, les rencontres, les joies et les peines, les rancoeurs et les regrets, les petits bonheurs et les grandes réflexions. Cela enlève peut-être un certain degré d'esthétisme à l'ensemble (si peu!) mais ça ajoute de l'authenticité, dans le sens "réalisme et identification au lecteur".

Le tout donne un ensemble assez hétéroclite. Il y a des épisodes hilarants, où Anne Rivier déploie tout son talent de chroniqueuse ironique impitoyable, comme dans le texte qui donne son titre au livre. C'est vivant et dynamique, ça fait beaucoup de bien. Et puis cela se passe la plupart du temps en Suisse, microcosme étonnant qui devient tout à coup la vedette, les petits villages, les quartiers, le système social… tout cela se teinte de couleur et prend vie sous nos yeux, ça a un petit côté attachant et attirant (le texte "Prendre la Peuglise" par exemple).
Il y a les souvenirs d'enfance ou quelques aspects anodins de notre vie qui font sourire. Un match de foot retransmis à la radio en compagnie du grand-père, savoureux moment, ou la corvée des vœux de papier, qui sent si bon le vécu. Des petits morceaux pleins de vie et de rire.
D'autres épisodes sont plus sobres, voire sombres, il y a de l'amertume, quelques regrets, un certain désespoir par moments. Anne Rivier se confie à nous par tranches de vie tantôt gaies tantôt tristes. C'est la vie comme elle vient, navigant entre souvenirs et anecdotes. Les amours de jeunesse avec Edouard laissent songeur. Le texte sur le deuil au mois de juin inspire l'émotion la plus profonde qui soit, tout y est si juste, sans fausse note.
Et puis l'Orient, l'Iran, si cher à l'auteur qui nous avait déjà bercé de notes orientales dans le sublime "Bleu de Perse". Des textes graves, violents de révolte intérieure, de chagrin également. Anne Rivier a cela dans la peau, cela se lit, on partage ses frissons.

Un recueil étonnant, bigarré, à lire par petits bouts, histoire de garder le plus longtemps possible la saveur de chaque histoire dans la tête, l'une remplaçant l'autre assez vite tant elles sont différentes. Sans doute quelques chroniques inspireront moins le lecteur non suisse (non suisse romand de surcroît, tout un monde!). Assez différent de "Bleu de Perse" dans la démarche et le style mais dans les deux cas, j'y ai retrouvé l'âme de l'auteur qui apparaît à chaque page.