L'Etoffe des songes : (Scénario) de Patrick Boriès

L'Etoffe des songes : (Scénario) de Patrick Boriès

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Feint, le 28 juin 2006 (Inscrit le 21 mars 2006, 60 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (39 792ème position).
Visites : 3 696  (depuis Novembre 2007)

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Raconter une histoire dans un livre sans récit. Défi du scénariste qui la plume à la main s’interdit le narratif pour que l’histoire se donne à voir. L’étoffe des songes, sous sa belle couverture de déchirure amoureuse, n’est pas un roman ; et pourtant, rares sont les romans contemporains qui méritent autant que ce texte le qualificatif de romanesque, ou du moins, qui le méritent d’aussi jolie manière. Romanesque forcément le héros, le jeune Pierre-Alain à la beauté magique, lui-même fait de cette « étoffe des songes » chère à Shakespeare, qui rêve sa vie plus qu’il ne la mène ; sous le charme duquel tombe Marie – à moins qu’elle ne s’y élève, perdant délibérément contact avec la réalité sordide d’une désunion conjugale. Car la vie de Pierre-Alain est une fiction perpétuelle. Meneur de jeu d’un organisation de revendeurs à la sauvette qui arrêtent les passants – surtout les passantes – afin de leur fourguer pour dix euros une petite chouette made in Taiwan qui n’en vaut pas un ; il élève son business au niveau de l’art. (Les recommandations aux subordonnées ne sont pas sans évoquer certains discours de Peachum dans L’Opéra de quat’sous de Brecht ; à ceci près que, pour ce qui est du pouvoir de séduction, Pierre-Alain est plus proche de Macky-le-Surineur.) Rien d’étonnant dès lors à ce que Marie lui tombe dans les bras, engluée qu’elle est dans un divorce refusé par un mari veule et amoureux. Pourtant tout les sépare, à commencer par l’âge, le milieu ; évidences sociales que Marie brave sans honte, sans voir qu’un traumatisme ancien a depuis longtemps projeté Pierre-Alain dans un monde de rêves, fait de courses sans retour sur le vaste dos de la mer, qu’elle n’entreverra que bien tard.
Et pourtant, malgré ce contenu si romanesque, L’étoffe des songes n’est pas un roman. C’est un scénario, fait pour le cinéma, et qui pour notre plaisir retourne au livre. Ce n’est pas sans conséquence sur la lecture. Tout est écrit pour l’œil, et pour l’oreille. Cela donne aux personnages une intéressante opacité : sans analyse psychologique, ils sont pour le lecteur l’objet d’une perpétuelle et nécessaire tentative d’interprétation ; ce qui permet une ouverture du sens. Cela rend aussi parfois la lecture un peu difficile pour qui n’est pas habitué : il faut se faire aux changements de décors sobrement évoqués car très fréquents – c’est aussi ce montage alterné qui donne son rythme au film ; et accepter de ne comprendre qu’avec un léger retard le rôle des nouveaux personnages quand ils entrent en scène (ou plutôt, devrais-je dire, dans le champ de la caméra) – en effet, il n’y a pas, comme pour le théâtre classique, la liste des rôles au début du livre, qui permet de s’y retrouver. Il faut donc simplement accepter d’apprendre encore une fois à lire autrement. Mais n’est-ce pas aussi ce que tout livre devrait exiger de son lecteur ?

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Scénario

6 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans) - 21 août 2006

Marie, Pierre-Alain, Clément. Marie, la quarantaine, vie sentimentale en déroute, est attirée par Pierre-Alain, son magnétisme, sa beauté, ses facilités. Pierre-Alain, 23 ans, est un beau voyou. Voyou, mais beau. Séducteur, sans scrupules, revenu de beaucoup de choses déja. Il a séduit Marie. Comme d’autres femmes. Clément, l’ami de Marie, voit le drame arriver, tente d’ouvrir les yeux de Marie, de la deciller. C’est trop tard, l’aveuglement et la fascination de l’amour sont passés par là. Et Pierre-Alain est trop déterminé. Les règles ne sont pas pour lui. Allez plaider la raison avec un gars qui considère légitime l’argument du pistolet qu’il braque sur vous !
Il y a d’autres personnages dans ce récit crépusculaire puisque actions il y a, secondaires.
On pourrait le qualifier de polar psychologique. C’en est certainement un sauf que … sauf que, ne pas se tromper, « L’étoffe des songes » n’est pas un roman, même si c’est un livre, « L’étoffe des songes » est un scénario. Un scénario couché sur papier et mis en couverture comme un vulgaire roman. Alors bien sûr, la forme diffère du roman classique. Les scènes sont découpées, numérotées, décrites et formalisées. Les acteurs sont identifiés, décrits, mis en situation. Et leurs dialogues font avancer la trame du drame.
« 10. Café Au Chat qui pêche/Int. Matin
Une vaste salle de brasserie déserte, haute sous plafond.
P.A. est installé sur une banquette au milieu d’une dizaine de vendeurs, 20-25 ans, vestes en jean, treillis et blousons râpés. Un sac de paquetage trône au milieu de la table, P.A. en sort des figurines peintes représentant naïvement des chouettes. Il pousse quinze figurines vers son voisin de droite.
P.A.
Tof !

P.A. commence à compter le lot suivant, il s’interrompt.
P.A.
Christophe ? Tu bosses toujours avec nous ?

Une abondante chevelure brune bouclée encadre un visage jeune et marqué, Christophe continue de rouler sa cigarette.
Christophe (à Philippe)
Tu peux me les prendre s’te plait ?

Un plateau rempli de tasses, le serveur s’arrête à la table.
Garçon
Un thé au lait et un croissant, c’est pour qui ?
Tous (plaisantant)
Pas moi ! Où qu’il est le riche ? Qu’il se dénonce !

Philippe, un grand blond, lève la main et prend la théière. »

Rien n’est laissé au hasard, tout est décrit, précisé, de manière directe et en ce sens très différent d’un roman. Pourtant l’écriture n’est pas négligée et passe parfaitement l’épreuve de l’édition. Ce n’est peut être pas le cas de tous les scénarios ?
L’impression qui vous reste à la fin est très visuelle. On vous a imposé en quelque sorte un décor, des images, frontalement. En cela c’est très différent d’un roman. L’étape ultérieure, clairement, consisterait à aller voir le film issu du scénario pour confronter son propre cinéma personnel à celui du réalisateur. Il y aurait certainement moins de décalage qu’avec un roman mis à l’écran.
Une démarche originale.

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