Le moral des ménages
de Éric Reinhardt

critiqué par Nothingman, le 5 juin 2006
(Marche-en- Famenne - 44 ans)


La note:  étoiles
Le roman anti "classes moyennes"
Le moral des ménages, Manuel Carsen ne connaît que trop bien. Issu d'une famille résolument classe moyenne, il a vécu toute sa jeunesse au milieu de parents qu'il jugeait trop étroits. Une famille aux objectifs simples, où les risques sont calculés. Le moral des ménages est un roman très dur, brut de décoffrage dans lequel le narrateur balance tout, ne garde rien pour lui : sa haine de la famille, sa haine du milieu de l'entreprise... Le portrait des parents de Manuel est particulièrement gratiné. Un père qui veut s'affranchir de sa condition sociale mais qui collectionne échecs et humiliations. Et qui malgré cela continue à glorifier le système responsable de sa déchéance. Une mère qui tente vaille que vaille de faire tourner la famille en mitonnant le gratin traditionnel. Une mère toujours en attente de la nouvelle déroute de son mari. Rajoutez à cette famille "middle class" la soeur en pleine crise d'adolescence. Mélangez le tout et vous obtenez une bombe prête à l'emploi.
Manuel n'aura donc de cesse de quitter ce monde , cette société étriquée. Solution : devenir artiste, musicien auteur compositeur élitiste inconnu du plus grand nombre, évidemment. Des années plus tard, ce sera au tour de sa fille de le railler, de s'opposer à ce père qu'elle considère comme un crétin élitiste et incapable. Ambiance!
Mais c'est là que ce roman touche juste. Avec une apparente économie de moyens et une fausse nonchalance, il analyse en profondeur les luttes générationnelles et dresse un portrait bien sordide de nos modes de vie.
Mais où est donc passée la famille Le Quesnois? 8 étoiles

Résolument pas dans "Le moral des ménages", non non. Si vous cherchez la famille Le Quesnois (souvenez-vous, celle de La vie est un long fleuve tranquille, pas les truculents Groseille, les autres), famille teintée de rose, d'amour et de jus d'orange ("oooh ouiiiii"), vous ne la trouverez pas ici.

Parce qu'on ne peut pas dire que Manu (Manu Carsen, narrateur de son état, et artiste musicien qui fait des disques, en passant) baigne dans le bonheur familial. Ça a commencé tout petit, quand il est tombé dedans. Dans la classe moyenne, je veux dire. Du type "résidence de banlieue" option "looser" par descendance paternelle. Toute sa vie, ses parents auront tenté de faire entrer le fiston dans leur moule middle class, qui s'empresse de devenir artiste pour se démarquer de ses parents, de leur situation. Un point commun quand même? Peut-être bien qu'il est aussi looser que son père... Un autre point commun? Lui qui a tant voulu sortir de cette classe moyenne, le voilà affublé d'une progéniture aussi belliqueuse que lui lorsqu'il s'agit de la condition de son père. Ah, faites des enfants!

Parce que l'harmonie n'est jamais aussi bien représentée que lorsqu'elle est dépeinte par les protagonistes eux-même, voici quelques morceaux choisis, qui montrent bien l'importance de la communication dans cette osmose familiale...

La mère, à propos du fils (Manu):
"Il faut savoir protéger ses enfants. Il faut les empêcher d'échafauder des rêves, comment dit-on.
Utopistes. Voilà. C'est ça. Vous avez du vocabulaire, vous. Utopistes. À notre époque, il faut être réaliste. On peut plus se permettre comme avant d'avoir des utopies. Car après, la chute est dure. Ça fait très mal. Voyez, je pense qu'il faut savoir rester à sa place. Les enfants d'ouvriers, je dis pas, après tout, ils n'ont rien à perdre. Mais nous, c'est pas pareil. Tous ces efforts que mon mari et moi on a faits pour grimper sur l'échelle sociale, c'est pas pour redégringoler tout en bas à la génération d'après, il faut savoir conserver les acquis sans prendre de risque."

Le fils (Manu), à propos du père:
"Mon père s'est fait baiser la gueule. (...) Il a été anéanti par le système qu'il prônait. Il s'est fait prendre au piège des valeurs qu'il défendait. (...) Ce qui m'empêche de l'aimer tout à fait, ce n'est pas qu'il ait raté sa vie, ni qu'il soit un homme qu'on a passé la vie à piétiner. S'il avait vécu ces humiliations avec l'héroïsme et la fierté d'un opprimé, j'aurais pour lui une grande tendresse. C'est que, ayant raté sa vie, (...) il ait les mêmes conceptions que s'il vivait dans un huit pièces en lisière du bois de Boulogne, roulait en Mercedes 480 SEL et possédait une marina à Palma et un yacht. C'est son identité. Cet attachement viscéral aux valeurs, au mode de vie et à l'arrogance des puissants, c'est sa seule identité."

La belle-fille (Juliette), à propos des beaux-parents, ne comprenant pas la force du rejet du fils (Manu):
"C'est couleur locale. Exotique. la télé allumée en permanence. Claire Chazal pendant qu'on mange des gaufres. Les ragots sur le voisinage. Le cancer du sein de madame Rouzic pendant qu'on saupoudre le sucre glace. Ta mère qui se lève de table pour regarder les robes de la présentatrice météo. Ils sont exotiques. J'ai pour eux une grande tendresse."

La fille de Manu, décidément en phase avec son père:
"Et monsieur, il voudrait que sa fille soit comme lui. Sous prétexte que j'avais de bonnes notes en dessin au lycée, il voulait que je fasse les Beaux-Arts. (...) Le BTS en commerce international, ça t'est resté en travers de la gorge."
"Moi, contrairement à toi, je revendique d'appartenir à la classe moyenne. Toi, tu entretiens l'illusion, avec tes disques, depuis quinze ans, que tu t'es désincrusté de la classe moyenne. Eh ben moi, ta désincrustation, je te la carre où je pense, je refuse d'appartenir au milieu d'imposteurs que tu m'imposes. Moi, l'héritage de papy et mamy, il est OK, je le revendique (...). Car enfin, mes grands-parents, ils t'ont rien fait, tu leur reproches simplement d'être comme ils sont, de vivre comme ils vivent, comme si chacun avait pas le droit de vivre comme il veut (...)"


Et comme il le dit finalement:
"La vie familiale est la chose la plus sordide et la plus destructrice qui soit."

Ah ben, c'est sûr que vu sous cet angle-là...

Mallollo - - 41 ans - 13 octobre 2009