La douceur assassine
de Françoise Dorner

critiqué par Shelton, le 6 mai 2006
(Chalon-sur-Saône - 67 ans)


La note:  étoiles
C'est beau la solitude ???
Ce petit roman est un texte doux, romantique et, finalement, assez cruel… Tout commence avec une histoire, celle d’un homme qui est arrivé au bout de ses projets, de son espérance, de sa volonté de vivre… Il hésite à se suicider, mais, d’un autre côté, comme il était professeur de philosophie, il voudrait bien arriver à résoudre la question fondamentale de la vie : est-il normal de vouloir mourir, est-il acceptable de se suicider, faut-il du courage pour passer à l’acte, est-ce de la lâcheté que d’hésiter à se tuer ??? Armand est là à se torturer avec ses questions… Personne ne pourrait l’aider… Surtout pas son fils pharmacien, marié et père de famille respectable de province… Ni sa fille qui vit au Canada et qui semble surtout intéressée par l’héritage éventuel…
Alors arrive – n’oublions qu’il s’agit d’un conte – Pauline, une jeune femme tout à fait normale qui ne regarde que d’un œil distrait ce vieux grand-père…
Mais Pauline a aussi une lourde histoire à assumer… très lourde ! La rencontre entre Armand et Pauline aurait pu dégénérer en coucherie, en histoire à l’eau de rose ou autre roman psychologique digne de la plus freudienne des narrations… Mais Françoise continue dans le genre allègre et poétique. Armand se construit son histoire, avec ses personnages, ses sentiments, ses souvenirs, ses réalités… Pauline, vendeuse dans un magasin parisien d’accessoires ménagers, de nappes, de design intérieur, elle, remplit les vides de sa vie avec ce que Armand peut lui apporter, même de façon inconsciente… Chacun semble être satisfait de cet état de fait, de ce non échange complet…
Mais Armand peut-il se satisfaire de cette situation ? Le suicide potentiel continue-t-il à le hanter ? En fait, il va prolonger sa réflexion, lancera des appels au secours, ne sera pas toujours entendu…
Pauline, mais aussi son fils de Dijon, viendront bien à sa rencontre… Mais peut-on se faire entendre quand on ne se parle qu’à soi, quand on a quitté la vie depuis longtemps ? Pauline, noyée dans sa jeunesse, d’une autre culture, peut-elle réussir à briser le mur infranchissable de cette solitude philosophique, inhumaine presque ? Le fils prodigue, c’est bien dans l’Evangile, mais dans la vie quotidienne, est-ce possible ?
Mais, surtout, peut-on empêcher un homme de se tuer autrement qu’en l’attachant sur un lit avec une camisole blanche ? Peut-on le faire quand on l’aime ? C’est quoi, la liberté humaine ?
Françoise Dorner est une romancière dont j’ai aimé l’écriture douce et cruelle…
« Dans l’ascenseur, elle s’est blottie soudain contre lui. Elle avait peur. Comme à chaque fois qu’un garçon lui présentait ses parents. Peur de rencontrer une vraie famille, de ne pas connaître les codes, le mode d’emploi. Peur d’être jugée. Peur que ces gens ne lui plaisent pas. Il s’est mépris sur son geste croyant que c’était de l’amour. »
Pourquoi Pauline a-t-elle tant de difficulté avec la famille ? De quoi a-t-elle peur ? Saura-t-elle se guérir ?
Ce roman est petit par la taille, passionnant par le thème, prenant par le suspense, géant par la poésie des mots… Je ne peux que vous conseiller de le lire car ce serait dommage de passer à côté…
une douceur à méditer 7 étoiles

Armand est un vieil homme que l’âge ralentit, veuf et délaissé par ses deux enfants, mariés et vivant loin de lui. Professeur de philo à la retraite, il est un peu déprimé et s’est toujours montré fier et droit devant les autres, un peu trop peut-être. Aussi est-il profondément ému quand Pauline, une jeune femme sans famille (orpheline depuis un accident dans l’enfance) l’aide dans le bus en lui ramassant sa canne et en lui adressant quelques mots et un sourire. Entre ces deux êtres brisés par la solitude et l’incompréhension ou l’ignorance du monde autour d’eux va naître une belle relation d’amitié, Pauline le choisissant comme grand-père d’adoption.
C’est une belle histoire toute simple et douce mais qui pose beaucoup de questions sur cette vieillesse solitaire et peut porter à réfléchir. Le personnage d’Armand est complexe, tantôt haïssable par ses certitudes orgueilleuses, tantôt fragile quand s’éclaire en lui les erreurs dans lesquelles il s’est fourvoyé. Qu’a-t-il donc fait aussi pour que ses propres enfants aient ce comportement odieux ? Ou est-ce le sort de tout un chacun ? Un peu des deux bien sûr ici. Un livre qui contrebalance intelligemment l’espoir et le drame de la solitude, pas si optimiste que cela, qui met en avant un courage pas si louable (celui du suicide), comme un sacrifice, une dernière preuve d’amour ou une fierté trop orgueilleuse. Au final, j’ai des doutes sur ce personnage d’Armand, mais l’ensemble mérite le détour, malgré quelques lieux communs.

Cet extrait : p. 34 : « Sur quoi peut déboucher une rencontre entre une vie qui se termine et une autre qui commence ? Le malentendu, l’illusion, la pitié. Je n’avais qu’à m’en prendre à moi-même. Je savais très bien ce que je risquais en me livrant à la jeunesse d’une inconnue. Je savais très bien que la moindre attention pour un homme de mon âge peut lui être fatale. L’indifférence tue à petit feu, mais la douceur assassine. »

Laure256 - - 51 ans - 12 août 2007