Il y a un
de Gabriel Bergounioux

critiqué par Feint, le 14 avril 2006
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Guerre sans nom
Dans un pays innommé qui ressemble au nôtre, à une époque innommée qui ressemble à la nôtre, la guerre éclate. Une conscience indécise, celle d’un enfant, perçoit la rumeur du monde. Le texte est une merveille de polyphonie : des voix diverses s’y font entendre, celle de la mère, qui après le départ du père appelé, doit faire de la couture pour faire vivre le foyer, les voix des voisins, des amis, des anonymes. C’est que, le lecteur peu à peu le comprend, l’enfant narrateur est aveugle. La guerre dure : l’enfant maintenant est adulte et, malgré son handicap – lui aussi toujours innommé – est appelé à son tour. Il sera radio, dans la marine.
C’est un texte qui fait peur, tant on a peur d’y croire. Les voix des soldats, leurs plaisanteries, leur regard sur l’aveugle ; tout cela est si réel. Et pourtant, paradoxalement, la guerre omniprésente n’apparaît jamais. On apprend que tel ou tel, qu’on connaissait à peine, a trouvé la mort ; cependant l’ennemi reste invisible, théorique, presque inexistant. Du père du narrateur, on apprendra un jour qu’il a cessé d’écrire à sa femme, puis il n’en sera plus question. Jamais on ne dira : il est mort. Jamais le narrateur ne le saura. De même, alors que les alertes sont fréquentes, jamais on n’assiste à un bombardement, comme si cette guerre n’existait que dans l’imagination du narrateur. A un moment, tout de même, on croit qu’il va se passer quelque chose : le navire, ou plutôt l’épave laborieusement rafistolée où le narrateur a été enrôlé comme radio, est sur le point de partir. Il y a presque de la réjouissance chez le narrateur. A ce moment le texte s’arrête. Il y a un, dit le titre. La suite manque.